À l’approche du 80e anniversaire du massacre de Thiaroye, où des tirailleurs africains furent abattus par les troupes coloniales françaises le 1er décembre 1944, les historiens sénégalais intensifient leurs efforts pour établir la vérité sur cet événement tragique. Si le président français Emmanuel Macron a récemment qualifié ces faits de « massacre », marquant une évolution dans le discours officiel, les chercheurs sénégalais jugent cette reconnaissance tardive et insuffisante pour éclairer toutes les zones d’ombre.
Ce 1er décembre 1944, les forces coloniales ont ouvert le feu sur des soldats africains rapatriés après avoir combattu aux côtés de l’armée française pendant la Seconde Guerre mondiale. Ces tirailleurs réclamaient le paiement de leurs arriérés de solde, un dû que les autorités coloniales tardaient à honorer. Selon les archives françaises, le bilan officiel fait état de 35 morts, mais de nombreux historiens avancent que le nombre réel de victimes pourrait atteindre plusieurs centaines.
« La reconnaissance du massacre par Emmanuel Macron est importante d’un point de vue sémantique, mais dès 1944, il était évident qu’il s’agissait d’un massacre », a déclaré Mamadou Fall, membre du comité sénégalais chargé de l’établissement des faits et de l’organisation des commémorations.
Longtemps, les autorités françaises ont évité d’aborder directement cette répression sanglante. Si l’ancien président François Hollande avait évoqué une « répression sanglante » lors de visites au Sénégal en 2012 et 2014, il aura fallu attendre 2024 pour que le mot « massacre » soit utilisé officiellement par un président français. Cette reconnaissance s’inscrit cependant dans un contexte de pressions croissantes, tant de la part de l’État sénégalais que des historiens et activistes africains.
Pour Mamadou Diouf, président du comité sénégalais de commémoration, l’attitude de la France reste motivée par ses propres intérêts : « Quand il a fallu parler de massacre, ils ont dit non. Maintenant, sous la pression, ils n’ont pas le choix. »
Une mission d’historiens sénégalais, menée entre le 19 et le 28 novembre en France, a permis d’accéder à certaines archives inédites, notamment des actes de décès provenant des registres communaux. Cependant, de nombreux documents restent inaccessibles, classés sous « secret défense ».
« Nous avons ressenti une ouverture manifeste de la part des autorités françaises, mais certaines pièces cruciales nous ont été refusées », a indiqué Mamadou Fall. Cette situation alimente les accusations de manipulation ou de dissimulation des archives par la France.
Pour Rokhaya Fall, également membre du comité, la reconnaissance française, bien que tardive, était « inévitable ». Cependant, elle souligne que la quête sénégalaise ne dépend pas de la bonne volonté française : « Notre intérêt, c’est la vérité. La France fait partie de la conversation, mais ce n’est pas elle qui la détermine. »
Le 80e anniversaire du massacre de Thiaroye marque une étape clé dans la réappropriation de cette mémoire par le Sénégal. Avec l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement marqué par des idéaux souverainistes et panafricanistes, l’événement prend un relief particulier. Les autorités sénégalaises souhaitent faire de cette commémoration une opportunité pour poser des bases solides à une réflexion sur la justice historique et la mémoire collective.
Cette mobilisation illustre une volonté renouvelée de ne plus laisser l’histoire de Thiaroye dans l’ombre, mais aussi de faire émerger une vérité libérée des pressions et récits imposés par l’ancien colonisateur. « L’histoire ne doit pas être une affaire de pouvoir, mais une quête de justice et de mémoire », conclut Rokhaya Fall.
Les commémorations prévues à Dakar ce dimanche s’annoncent donc comme un moment fort pour honorer les victimes et rappeler l’importance de cette page sombre, mais essentielle, de l’histoire sénégalaise et franco-africaine.
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