Depuis leur accession au pouvoir, les nouveaux gouvernants peinent à impacter réellement le quotidien des sénégalais. Ces derniers assistent non seulement à des reniements successifs,mais aussi à une communication de propagande très intense et souvent orientée vers la critique de l’ancien régime. « Trop de communication tue la communication », dit l’adage, mais l’intensification de la communication gouvernementale actuelle ne tue pas la communication. En revanche, elle montre clairement des opposants au pouvoir restant ancrésdans leur posture d’opposants radicaux à l’ancien président et son équipe.
Au lieu de rassurer les populations sur une « rupture systémique », cette communication à outrance met en lumière le lourd bilan positif de l’ancien président, ce que son équipe avait du mal à faire puisque leur communication était noyée par celle bien ficelée de l’opposition d’alors. L’exemple le plus tangible est la déclaration d’impuissance du PM face à la cherté des denrées de première nécessité. Publiquement, il a admis l’incapacité de son gouvernement à réduire les prix, alors qu’en tant qu’opposant, il affirmait avoir la solution. Il arguait que ce qui manquait était les compétences et la volonté politique des anciens dirigeants. Aujourd’hui, il se défend en demandant : « Qui a augmenté les prix ? » et affirme que pour une baisse durable des prix des denrées, il nous faut d’abord atteindre l’auto-suffisance alimentaire.
Le PSE, FMI et État du Sénégal
L’un des premiers actes de reniement a été la mission gouvernementale à Washington auprès du FMI qui, selon LeQuotidien, a demandé à l’Etat du Sénégal de revoir sa copie en remettant en cause le cadrage budgétaire pour l’exercice en cours. Après cela, cette institution financière, tant décriée par les nouveaux dirigeants lorsqu’ils étaient dans l’opposition, a séjourné au Sénégal pendant plusieurs jours pour faire le point sur les développements économiques et politiques récents du pays. Selon Pulse.sn, l’institution a applaudi le gouvernement sortant pour avoir tenu la croissance économique du pays au-delà des attentes (4,6%), malgré les chocs endogènes et exogènes. De surcroît, le média note également que le FMI a fait valider au nouveau président le PSE que son premier ministre avait prévu de mettre à la poubelle quand il était le principal opposant du concepteur. Ce qui constitue une excellente communication en faveur de l’ancien président puisqu’il consacre ce que son « candidat » a défendu durant toute la campagne présentielle : une continuité étatique au détriment d’une rupture systémique.
Les infrastructures à l’honneur
En outre, les effets positifs du PSE, notamment sur la fluidité du transport dakarois, ont également été mis en avant par le nouveau régime, bien qu’ils aient été remis en cause par les mêmes acteurs lorsqu’ils étaient dans l’opposition. Le TER et les infrastructures administratives à Diamniadio, notamment le CICAD, ont été plébiscités lors de la prestation de serment de l’actuel président. Le premier l’a transporté et le deuxième a permis d’accueillir plus facilement l’ensemble de sesnombreux invités.
Le BRT a aussi été à l’honneur ces derniers jours. Selon le nouveau ministre des Transports, il constitue un moyen de transport de qualité et fait partie des projets les plus structurants de l’Etat du Sénégal (Transcription de Senego). Il avance même que « le BRT est un projet extrêmement important pour la mobilité urbaine, qui nous fait perdre pratiquement plus de 900 milliards par an », tandis que cette même personne, dans l’opposition, disait en 2019 sur un de ses réseaux sociaux que le « BRT, le TER […] ne régleraient pas le problème ». Il nous indiquait même dans cette même publication un hashtag #Solutions pour certainement faire référence au livre « Solutions pour un Sénégal nouveau » de son leader. Ce dernier, actuel PM du Sénégal, nous a vendu à plusieurs reprises un PROJET dont nous n’avons jamais connu les contours, car jusqu’à présent, il n’a jamais été rendu public. De ce fait, il nous semble encore flou et en cours d’élaboration.
Le PROJET
Sa rédaction, si elle ne vient pas d’être débutée, est encore loin d’être achevée. Le communiqué du conseil des ministres du 24 Avril 2024 nous a annoncé que « s’agissant du travail d’élaboration du document de référence en matière de politiques économique et sociale, le PROJET, le premier ministre a affirmé qu’il portera exclusivement le sceau de l’expertise sénégalaise et sera achevé au troisième trimestre de l’année 2024. A cet effet, un comité technique restreint sera mis en place à la Primature ». Quid des jeunes sénégalais ayant courageusement répondu à l’appel de cet homme en 2021 pour défendre le PROJET ?
Malgré le fait que le PROJET ne soit pas encore, du moins complément, élaboré pour être un véritable référentiel de politiques publiques, il revient très souvent dans la communication gouvernementale, jusqu’à avoir comme ambition de remplacer le PSE. Ce qui a valu des questions légitimes posées par Ibra Diaw, Ingénieur en Planification Economique et expert en Suivi-Evaluation, dans sa contribution publiée par le site internet Xibaaru : « Est-ce qu’un projet peut être un référentiel de politiques publiques d’un pays ? Est-ce qu’un projet peut remplacer un plan de développement ? ». En tant qu’économiste, nous répondonssans hésiter à ces deux questions par la négation en attendant la disponibilité du PROJET afin d’avoir plus d’éléments que ceux fournis récemment par le ministre de l’Energie, du Pétrole et des Mines.
Ce dernier, répondant à ceux qui stipulent que le PROJET n’existe que de nom, nous a enseigné dans un extrait de vidéo virale sur les réseaux sociaux que le « PROJET est une volonté, une ambition avec des hommes, un agenda, un timeline et des délais ». Monsieur le ministre, votreargumentaire montre que le PROJET est flou. Il manque de précision sur les actions concrètes, les objectifs spécifiques et les ressources financières nécessaires, qui sont tous des éléments essentiels pour la mise en œuvre efficace de toute politique publique ou projet de développement. Sans ces éléments, le PROJET risque de rester une ambition sans substance, incapable de remplacer un plan de développement long-termiste bien structuré comme le PSE.
Le populisme dans la communication officielle, ça fourche
D’autres faits méritent aussi d’être soulignés, comme les errements dans la communication de certains ministres et directeurs. Le premier est le ministre de l’Education nationalequi indique que « le faible taux de réussite au BAC est dû en partie à la correction à la loterie que certains professeurs font à cause du manque de temps » (lasnews.sn). Face aux vives réactions qu’ont suscité ses propos, le ministre se justifie, selon Senenews : « l’allusion faite aux enseignants qui corrigent des copies d’élèves en temps record est loin d’être une stigmatisation de leur comportement. Je ne faisais que partager par empathie un message d’un enseignant relatant un épisode de sa vie de correcteur qu’il avait par la suite beaucoup regretté ».
Une déclaration qui est, selon nous, autant erratique que la première. Cet enseignant devrait systématiquement être non seulement traduit devant un conseil de discipline pour être sanctionné administrativement, mais aussi devant la justice pour répondre juridiquement de ses actes. Son comportementest amoral, non professionnel et aux antipodes du « Jub », « Jubal ». Il devrait donc faire l’objet de « Jubanti »par son supérieur hiérarchique et par ricochet le ministre de l’éducation qui, à la limite, le prend comme référence pour expliquer les maux qui gangrènent notre système éducatif.
Les changements systémiques
Ce qui s’est passé au niveau du COUD de l’UCAD montre également que le changement systémique s’annonce difficile. Le directeur de cette structure a convié l’intersyndicale à une réunion pour discuter sur l’application de la recommandation du président invitant les services de l’Etat au respect des horaires de travail. L’intersyndicale, qui s’est présentée à l’heure indiquée, s’est retirée après 40 minutes d’attente et estime, dans son communiqué, que le retard peut être toléré, mais dans le respect strict du quart d’heure académique. Des proposes qui signifient que le directeur a accusé un retard de plus 40 minutes sans avertir ses collaborateurs ; une veille attitude purement sénégalaise.
Nous terminons par la dame justice qui fera elle certainement l’objet de « Jubanti » à l’issue des assises de la Justice qui viennent d’ouvrir. Une initiative qui devait être saluée par tout républicain épris de justice, mais l’annonce des potentiels participants a suscité de nombreuses interrogations : peut-on mettre face à face des anciens détenus amnistiés de faits très graves et des magistrats sans leurs « gilets de protection » (le délit d’outrage à magistrat) pour parler de la justice et de ses problèmes ? Ne s’agira-t-il pas d’une audience où les rôles seront inversés et les échanges risquent de devenir houleux ? Quelles sont les compétences et connaissances juridiques de ces anciens détenus pour faire face à des hauts fonctionnaires de la république et proposer des solutions pour réformer la justice ?
Les souhaits d’un jeune sénégalais apolitique et foncièrement républicain
Malgré ces couacs qui, espérons-le, conduiront à des réajustements, nous souhaitons la tenue de nouvelles assises de la presse, dans lesquelles l’Etat sera un acteur principal et non un simple invité pour mieux assainir le milieu. A notre connaissance, c’est l’une des rares corporations où le comité des pairs n’hésite pas à jeter en pâture ses membres via des communiqués condamnant sans filtre des actes ou des propos de journalistes qu’il juge contraires aux exigences éthiques et déontologiques du journalisme sans au préalable auditionner les auteurs présumés ni les prévenir. Les journalistes Aissatou Diop Fall et Cheikh Yerim Seck peuvent certainement en témoigner.
C’est également l’un des rares milieux professionnels dans lequel des personnes sans la formation appropriée ni aucune compétence, encore moins d’expérience professionnelle peuvent prendre la parole à longueur de journée sans contradicteur légitime en face. Pire, la présentation des invités dans les « débats » est souvent tronquée : des doctorants sont présentés comme des professeurs ou comme des experts en leur domaine, des politiques comme des journalistes, des animateurs, présentateurs, des comédiens, voire des marabouts guérisseurs comme des chroniqueurs, etc.
Enfin, il est effectivement paradoxal que dans un contexte mondial marqué par la rationalisation des dépenses publiqueset la réduction des déficits budgétaires, certains dirigeants continuent d’adopter des pratiques coûteuses et peu justifiables. Le fait que le président et le PM résident toujours à l’hôtel depuis leurs prises de fonction devrait soulever des questionnements sur la gestion des ressources publiques et la symbolique de la gouvernance.
Pour un Sénégal nouveau
Il est essentiel d’élever le débat et de permettre la critique constructive. Cela implique non seulement une meilleure planification et exécution des politiques publiques, mais aussi une communication sans populisme, plus cohérente et transparente de la part du gouvernement. La confiance des citoyens se construit sur la base de résultats tangibles et d’une gouvernance exemplaire, plutôt que sur des promesses et des critiques incessantes des prédécesseurs.
En somme, une approche plus équilibrée, qui reconnaît les réalisations passées tout en proposant des innovations claires et bien définies pour l’avenir, serait bénéfique pour le Sénégal.
Balla KHOUMA
Statisticien Economiste de la Santé
Docteur en Sciences Economiques
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