Faire croire à des sénégalais que le nationalisme est la voie salvatrice pour avoir des emplois et la sécurité est une supercherie dont les fondements ne sont rien d’autre que l’ignorance et la fantaisie de l’orgueil. On s’accroche souvent à des mots quand la dureté du réel nous repousse et nous révèle nous innommable impuissance.
Faire croire à des sénégalais que c’est à cause des Guinéens et autres qu’ils n’ont pas d’emploi, c’est encore de l’ignorance arrogante. Les Guinéens font des boulots qui répugnent à la convenance des sénégalais, de même que les
Sénégalais font majoritairement en Europe des boulots que les autochtones ne veulent pas faire. La politique migratoire sénégalaise souple et humaniste n’est pas tombée du ciel, elle traduit notre histoire, notre culture et notre projet panafricain. Arrêtez de dire des bêtises à la télé.
Même dans l’espèce Schengen le visa et autres titres de séjour ne sont pas requis. Si maintenant le projet est d’exiger la réciprocité aux Etats européens, il faut au préalable produire une industrialisation et une richesse locales capables d’offrir des emplois aux jeunes. Le nationalisme ne peut pas prospérer au Sénégal, c’est juste une roue de secours pour des égarés idéologiques. Les Africains ne sont pas des étrangers au Sénégal, c’est le choix des pères fondateurs qui ne sont pas des ignorants contrairement à beaucoup de prétentieux qui prétendent pourvoir nous gouverner.
Le Sénégal est devenu un pays dangereux parce que l’opinion y fait office de science. Le propre de l’opinion c’est qu’elle traduit une imposture intellectuelle en ceci qu’elle prend une portion du réel pour tout le réel. L’opinion est prétentieuse, manichéenne et surtout mensongère. L’opinion réclame tout pour elle, elle cible l’aspect du réel qui l’arrange et en fait des extensions qui lui permettent de tout expliquer, de tout valoriser ou déprécier comme l’explique François Châtelet dans ce passage de son live dédié à Platon :
« Au fond, ce que l’opinion ignore, c’est qu’elle prend pour la totalité du réel ce qui est donné dans la partialité de ses perspectives. Avec des exemples, elle invente des faits, alors qu’elle a constitué ses exemples d’une façon contingente, à partir du hasard de ses rencontres empiriques et des intérêts que suscitent ses désirs et ses passions. Ce qu’elle nomme réel, c’est l’imaginaire qu’elle élabore à partir des bribes de réalité que laisse subsister sa perception obscurcie. Par cette dernière, elle se laisse guider – par elle et par ses appétits sensibles. Car tel est bien le statut de l’opinion : au lieu de rechercher ce qui est effectivement réel, elle
s’abandonne à ce qui la satisfait immédiatement. Les appétits par lesquels elle est gouvernée lui signalent des « valeurs » qu’elle recueille comme les seules acceptables et dont elle fait les pivots de ses discours… »
L’opinion est injuste, brutale et illégitime : elle ne va jamais dans les profondeurs, elle n’analyse le réel que par ses ombres. Quand on devient adepte ou prisonnier de l’opinion, on ne cherche plus la vérité, on se contente de la
persuasion, de l’adhésion des foules et ce, quel que soit le niveau de leur ignorance ou de leur barbarie. L’opinion est la plus dangereuse des opiums, car elle empêche de penser. Elle dresse une partie de la foule contre une autre par un apprivoisement qui passe par le verbe prophétique.
Prôner le nationalisme dans un pays exsangue, un pays qui ne peut ni se nourrir ni se soigner, ce n’est pas sérieux. Le nationalisme n’a jamais résolu les problèmes d’un pays. C’est en nous, dans nos comportements, dans nos façons de
vivre et de penser qu’il faut combattre les chaînes qui nous empêchent de nous développer. Ce discours populiste relayé par des foules est symptomatique de la grave décadence de notre société. Nous ne voulons jamais endosser notre part de responsabilité dans les maux qui nous arrivent, nous cherchons toujours des boucs émissaires. L’homme politique qui nous sauvera ne sera pas un nationaliste (cette précarité intellectuelle qu’on voile par des mots), il sera plutôt un homme courageux et libre. Ce sera un homme capable de regarder les Sénégalais dans les yeux pour leur dire : « nous sommes gravement malades et je vous propose une cure collective et individuelle. Cette cure ne sera pas commode, elle sera même amère, mais elle est nécessaire ».
Malheureusement, il y a trop de vautours qui rôdent autour du pouvoir parce qu’ils ont le pressentiment que celui-ci est devenu une carcasse à ronger ou à se disputer. On a l’impression que la quête du pouvoir donne un visa de
permissivité totale ; que quand on se déclare candidat, on n’est plus astreint à une quelconque valeur ou norme.
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