Sénégal : Macky Sall bientôt convoqué par la justice pour des irrégularités financières

L’ancien président du Sénégal, Macky Sall, qui a dirigé le pays de 2012 à 2024, pourrait être amené à répondre de sa gestion des finances publiques devant la justice. Le gouvernement sénégalais l’accuse d’être directement responsable des « faux chiffres » révélés dans un récent rapport de la Cour des comptes. Si des poursuites sont officiellement engagées contre lui, ce serait une première historique au Sénégal, un pays qui a jusqu’ici évité de juger ses anciens chefs d’État pour leur gestion au pouvoir.

L’origine de cette affaire remonte au 12 février 2025, lorsque la Cour des comptes du Sénégal a publié un rapport explosif sur les finances publiques sous Macky Sall. Ce document révèle des écarts considérables entre les chiffres annoncés par l’ancienne administration et ceux recalculés par les experts financiers. Selon ce rapport, la dette publique représenterait 99,67 % du PIB, soit bien plus que les chiffres annoncés par l’ancien gouvernement. Le déficit budgétaire de 2023 aurait été de 12,3 %, contre 4,9 % déclarés officiellement par le régime de Macky Sall. Plusieurs dépenses et transactions financières n’auraient pas été correctement enregistrées, voire auraient été maquillées pour masquer la réalité économique du pays. Ces révélations ont immédiatement suscité une réaction du gouvernement actuel, qui accuse Macky Sall et son équipe d’avoir manipulé les finances publiques avant de quitter le pouvoir.

Le porte-parole du gouvernement sénégalais, Moustapha Ndjekk Sarré, n’a pas mâché ses mots lors de son intervention sur la radio privée RFM, le 28 février. Il a affirmé que Macky Sall fera inévitablement face à la justice, le désignant comme le principal responsable d’actes extrêmement graves. Il a ajouté que tout ce qui s’est passé sous son mandat s’est déroulé sous ses ordres et qu’on pourrait même le considérer comme le chef de gang ayant commis des actes criminels. Le gouvernement estime que l’ancien président doit rendre des comptes pour avoir laissé le pays dans une situation financière jugée critique. Selon Moustapha Ndjekk Sarré, Macky Sall aurait donné des ordres directs ayant conduit à ces manipulations comptables, et il ne pourrait donc pas se dédouaner de toute responsabilité.

Depuis son départ du pouvoir en avril 2024, Macky Sall s’est installé au Maroc, où il suit de près l’évolution de la situation politique sénégalaise. Dans un entretien accordé au magazine Jeune Afrique le 27 février, il a vigoureusement rejeté les accusations portées contre lui. Il s’est inscrit en faux contre ces allégations de falsifications, affirmant qu’il s’agissait d’une manœuvre politique orchestrée par le nouveau régime pour salir son bilan. Il rappelle que la Cour des comptes a validé les comptes publics du Sénégal chaque année sous son mandat et que ces nouvelles accusations sont infondées. Il a estimé qu’il était trop facile de revenir après coup et de déclarer que tout était faux, qualifiant ces accusations de ridicules. Il s’est également montré serein face à une éventuelle action judiciaire, déclarant qu’il n’avait peur de rien et que ses adversaires pouvaient poursuivre s’ils le souhaitaient.

Le Sénégal dispose d’un cadre juridique spécifique pour juger ses anciens chefs d’État. Macky Sall bénéficie d’un privilège de juridiction, ce qui signifie qu’il ne peut être jugé que par des instances spéciales. Depuis décembre 2024, l’Assemblée nationale a réactivé la Haute Cour de justice, une juridiction compétente pour juger les anciens présidents et ministres accusés de haute trahison. C’est cette cour qui pourrait être saisie si la justice sénégalaise décide d’engager des poursuites contre Macky Sall. Le porte-parole du gouvernement a précisé que le Sénégal disposait d’une justice indépendante et que si celle-ci estimait que Macky Sall n’avait rien fait, il serait épargné.

Cette affaire intervient dans un contexte où le gouvernement de Bassirou Diomaye Faye envisage d’abroger la loi d’amnistie adoptée en mars 2024 sous Macky Sall. Cette loi, votée avant l’élection présidentielle de mars dernier, couvrait les faits liés aux violences politiques entre 2021 et 2024, permettant notamment la libération d’Ousmane Sonko, aujourd’hui Premier ministre. Le gouvernement actuel considère cette loi comme un obstacle à la justice et souhaite revenir dessus afin de permettre des poursuites contre les responsables de troubles passés. Si cette abrogation est confirmée, cela pourrait également ouvrir la voie à des poursuites judiciaires pour d’autres anciens membres du gouvernement Sall, notamment dans des affaires de gestion des finances publiques et de répression politique.

L’éventuelle comparution de Macky Sall devant la justice marquerait un tournant inédit pour le Sénégal. Jusqu’ici, aucun ancien président n’a jamais été jugé pour des faits liés à son exercice du pouvoir. Ce dossier pose plusieurs questions cruciales. Certains s’interrogent sur l’indépendance réelle de la justice et craignent que cette affaire ne soit instrumentalisée à des fins politiques. D’autres se demandent si les institutions sénégalaises sont réellement prêtes à juger un ancien président et si l’application de la loi à une figure aussi importante que Macky Sall sera un véritable test pour l’État de droit. L’impact sur la scène politique pourrait également être significatif. Si Macky Sall est poursuivi, cela pourrait affaiblir son parti, l’Alliance pour la République (APR), et bouleverser l’équilibre des forces en vue des prochaines élections.

Alors que les tensions politiques restent vives au Sénégal, la question du sort judiciaire de Macky Sall pourrait bien être l’un des grands enjeux des mois à venir. Si la justice décide d’engager des poursuites, cela pourrait ouvrir une nouvelle ère dans la gouvernance du pays, où les dirigeants ne seraient plus à l’abri de rendre des comptes une fois leur mandat terminé. Mais dans un pays où les affrontements politiques sont souvent intenses, ce dossier pourrait aussi devenir un champ de bataille entre l’ancien et le nouveau régime. Il reste à voir si cette affaire aboutira à un procès ou si elle restera un dossier politique hautement médiatisé, sans réelle suite judiciaire.

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