Détenu depuis près de six mois pour des délits financiers allégués, Lat Diop traverse une incarcération qui suscite de nombreuses interrogations et alimente le débat public. En 2022, alors qu’il était encore dans l’opposition, l’actuel Premier ministre avait suggéré que Lat Diop pourrait faire face à des poursuites judiciaires une fois au pouvoir. Une succession d’événements qui, avec le recul, divise l’opinion : certains y voient une simple coïncidence, tandis que d’autres estiment que ceci s’inscrit dans une stratégie politique visant à écarter une figure influente de l’opposition au profit du président de Pastef / Les Patriotes.
Dans le même temps, l’hypothétique implication de son demi-frère par alliance, réputé proche d’Ousmane Sonko, continue de nourrir les spéculations.
Dans cet entretien exclusif accordé au « Dakarois Quotidien », Mme Diop Oumy, épouse de Lat depuis 14 ans, livre un témoignage poignant sur l’épreuve que traverse leur famille. Entre incertitudes judiciaires et enjeux politiques sous-jacents, elle dévoile le quotidien de son mari en détention, revient sur la position adoptée par l’ex-Premier ministre, Amadou Ba, et explique les démarches engagées pour faire éclater la vérité.
Dakarois Quotidien : Comment votre famille (et vous incluse) vit-elle cette épreuve ?
Mme Diop : Très dure comme toute épreuve, parce que ce n’est pas du tout facile d’être à ses côtés depuis 14 ans et du jour au lendemain, même pour le voir, il faut demander une permission. Mais nous essayons de tenir quand même et espérons le revoir bientôt à la maison.
DQ : Comment votre époux vit-il ces longs mois d’incarcération ?
Mme Diop : Il le vit avec dignité et courage.
DQ : Quel est son état d’esprit face à la détention prolongée ?
Mme Diop : Il reste serein et il a foi en la justice de son pays.
DQ : A-t-il le moral ou traverse-t-il des moments de découragement ?
Mme Diop : Vous savez que la vie carcérale n’est pas du tout facile pour une personne qui avait l’habitude d’être active, mais il essaye de s’adapter au mieux en laissant tout entre les mains de Dieu, même s’il y a des jours avec et des jours sans.
DQ : Comment se déroulent ses journées en prison ?
Mme Diop : Il a quand même sympathisé avec bon nombre de détenus avec qui il discute beaucoup ; sinon il fait beaucoup de lecture et passe beaucoup de temps à prier aussi.
POSTURE D’AMADOU BA, EX-PREMIER MINISTRE
DQ : Comment votre mari vit-il le fait que ses anciens collaborateurs ne lui aient ni rendu visite en prison, ni présenté leurs condoléances lors du décès de son père ?
Mme Diop : Certains parmi eux m’ont rendu visite ou m’ont jointe par téléphone. D’autres ont pu aller rendre visite en prison à mon mari ; c’est juste que ça n’a pas été médiatisé. Au passage, je les remercie beaucoup pour leur soutien.
DQ : Pensez-vous qu’il y en a qui l’ont abandonné par peur, opportunisme ou ingratitude ?
Mme Diop : Pour le reste qui ne se sont pas encore manifestés, cela peut être par manque de temps, parce que les préoccupations de la vie courante sont énormes de nos jours. Cependant, nous ne blâmons personne.
DQ : Amadou Ba, qui avait reçu le soutien de votre époux lors de la dernière présidentielle, soutient-il aujourd’hui votre mari ?
Mme Diop : Le ministre Amadou Ba m’a rendu visite et prend souvent de mes nouvelles, et je sais qu’il fera de son possible pour aider mon époux à sortir de cette impasse.
DQ : Votre époux bénéficie-t-il du soutien de ses camarades de l’APR durant sa détention ?
Mme Diop : Il y a beaucoup de ses camarades de l’APR qui nous soutiennent.
DQ : Quelles sont ses relations avec Farba Ngom en prison ?
Mme Diop : Avec Farba, ils sont camarades de parti et ils ont une bonne relation.
DQ : Comment vit-il le ramadan en détention ?
Mme Diop : Il le vit comme tout autre détenu, pas très commode, mais il avait même l’habitude de jeûner avant le ramadan.
UN ACHARNEMENT POLITIQUE ?
DQ : En 2022, l’actuel Premier ministre, Ousmane Sonko, alors dans l’opposition, avait menacé votre époux de prison une fois au pouvoir. Pensez-vous que cette arrestation est motivée par des considérations politiques ?
Mme Diop : En espérant que si ce n’est pas la chose promise qui est due, dans ce cas il y a quand même une réelle coïncidence.
DQ : Selon certaines sources, le demi-frère de Lat Diop, réputé proche d’Ousmane Sonko, aurait joué un rôle dans son inculpation. Avez-vous des éléments qui confirment ou infirment cela ?
Mme Diop : Je précise que c’est son demi-frère par alliance, qui est un homme discret, qui a toujours eu de très bons rapports avec nous, et sa proximité avec l’actuel Premier ministre Ousmane Sonko ne signifie pas une quelconque implication dans l’affaire de mon époux.
DQ : Votre époux est une personnalité influente. Pensez-vous que son arrestation vise à écarter un adversaire politique ?
Mme Diop : C’est une possibilité, parce qu’en politique, on reçoit plusieurs coups, mais c’est la manière de se relever qui compte au final.
PERSPECTIVES
DQ : Croyez-vous encore en la justice sénégalaise ?
Mme Diop : Oui, j’y crois fermement et j’ai l’intime conviction qu’il sera libéré très vite, c’est juste une question de temps.
DQ : Quels sont les prochains recours envisagés ?
Mme Diop : Nous avons fait appel de la liberté provisoire rejetée et un pourvoi en cassation pour l’annulation de ce dossier aussi. Nous restons dans l’attente d’un avis favorable, s’il plaît à Dieu.
DQ : Quel message souhaitez-vous adresser aux Sénégalais et à ceux qui suivent cette affaire ?
Mme Diop : Mon époux a beaucoup donné pour son pays et il a longtemps œuvré à la bonne marche de ce pays. D’ailleurs, beaucoup ignorent que c’est lui qui a négocié l’autoroute Ila Touba et d’autres grandes réalisations pendant qu’il était directeur des investissements et ensuite de la coopération internationale. Toutes les personnes qui l’ont côtoyé savent à quel point il a de la rigueur et du sérieux dans son travail, donc ce n’est pas une personne qui va piller des deniers publics.
DQ : Si vous aviez un mot à dire aux autorités judiciaires et politiques, quel serait-il ?
Mme Diop : Aux autorités judiciaires, nous voulons une justice équitable, et aux autorités politiques, nous demandons qu’elles essaient de nous apporter un climat d’apaisement et de cohésion sociale, parce que c’est ça qui peut faire avancer un pays.
Propos recueillis par Penda THIAM
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