Cinq anciens ministres du régime de Macky Sall – Ndèye Saly Diop, Mansour Faye, Ismaïla Madior Fall, Sophie Gladima et Moustapha Diop – sont dans le viseur de la justice sénégalaise. À la demande du procureur de la République, le ministre de la Justice a saisi l’Assemblée nationale, qui a enclenché le processus de leur mise en accusation devant la Haute cour de justice.
Si Ismaïla Madior Fall est poursuivi dans une affaire de corruption présumée, les autres sont tous soupçonnés d’avoir été impliqués dans des irrégularités constatées par la Cour des comptes dans la gestion du fonds Force Covid-19. Ce fonds, mis en place au plus fort de la pandémie, visait à atténuer les effets économiques et sociaux de la crise sanitaire. Mais les audits ont révélé des anomalies dans l’attribution des marchés, la distribution des aides et la traçabilité des dépenses publiques.
Pour Alioune Souaré, expert en droit parlementaire, cette procédure pose de sérieux problèmes en termes de respect des droits fondamentaux. Dans un entretien accordé au journal Les Échos, il dénonce la loi organique qui régit la Haute cour de justice, estimant qu’elle viole plusieurs principes constitutionnels.
Selon lui, l’article 7 de la Constitution sénégalaise, qui proclame l’égalité de tous devant la loi, est mis à mal par cette juridiction d’exception. « Elle piétine aussi le principe du double degré de juridiction, pourtant indispensable à un procès juste et équitable, quelle que soit la nature des infractions », affirme-t-il.
Autre point de friction : les accusés ne peuvent être assistés que par un seul avocat, une disposition que Souaré considère comme une atteinte aux droits de la défense. Il souligne également l’absence d’enquête préliminaire, une étape pourtant essentielle dans toute procédure judiciaire.
Plus préoccupant encore, selon l’expert, est le caractère non contestable des décisions rendues par la commission d’instruction et la Haute cour elle-même. Aucun recours n’est possible, ni appel, ni pourvoi en cassation. Une situation qu’il juge contraire aux standards internationaux d’un procès équitable.
Enfin, Souaré critique le recours au vote par les juges pour décider des peines, une pratique qui, selon lui, va à l’encontre de l’article 101 alinéa 3 de la Constitution. Cet article stipule que la Haute cour doit s’en tenir strictement à la définition des infractions et à la détermination des peines telles que fixées par la loi pénale au moment des faits.
Il rappelle aussi que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, mentionnée dans le préambule de la Constitution sénégalaise, consacre le principe d’égalité devant la loi – un principe mis en péril, selon lui, par la configuration actuelle de la Haute cour de justice.
Ces mises en accusation, bien qu’elles marquent une volonté de lutte contre l’impunité, relancent donc le débat sur la légitimité et l’efficacité de la Haute cour de justice. De nombreuses voix, au sein de la société civile et du monde juridique, appellent désormais à une réforme profonde de cette juridiction, afin de garantir aux justiciables un traitement conforme aux principes d’un État de droit.
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