ZONE DE LIBRE-ÉCHANGE AFRICAINE / CHOIX D’ABIDJAN PAR L’ADMINISTRATION TRUMP : Dakar ne fait-elle plus rêver ?

Washington redéfinit ses relations avec l’Afrique, délaissant l’aide humanitaire au profit du commerce et de l’investissement. Ainsi, la Côte d’Ivoire devient-elle la vitrine de cette nouvelle donne afin de servir de tampon entre le pays de l’Oncle Sam et l’Afrique francophone.

Les États-Unis reconfigurent profondément leur stratégie à l’égard du continent africain. Jadis fondée sur l’aide humanitaire et les partenariats sociaux, leur approche privilégie désormais les échanges économiques et les investissements structurants. Cette inflexion diplomatique, incarnée par l’ouverture d’un bureau stratégique à Abidjan, en Côte d’Ivoire, dans le cadre de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf), suscite des interrogations. Dakar, longtemps considérée comme un pilier de la relation américano-africaine en Afrique francophone, conserve-t-elle encore sa place centrale ?
À l’occasion d’une rencontre avec la presse, tenue le 20 mai 2025 à Abidjan, Troy Fitrell, haut responsable du Bureau des affaires africaines au sein du Département d’État américain, a exposé les grands axes de cette nouvelle doctrine. Selon lui, les partenariats commerciaux s’avèrent plus efficaces pour favoriser une croissance économique durable que les mécanismes classiques d’aide au développement. Washington mise donc sur la vitalité du marché africain, soutenu par une jeunesse dynamique, une urbanisation rapide et un potentiel d’intégration économique sans précédent à travers la ZLECAf.
Le changement de paradigme opéré par l’administration Trump ne se limite pas à une simple déclaration d’intention. Il s’accompagne d’un agenda ambitieux visant à arrimer les intérêts des entreprises américaines aux priorités de développement africaines : industrialisation, transformation locale des matières premières, montée en compétence de la main-d’œuvre et création d’emplois. Un virage pragmatique, en phase avec les nouveaux enjeux géostratégiques où la Chine, la Russie, la Turquie et d’autres puissances étendent leur influence.
Durant son séjour à Abidjan, Troy Fitrell a multiplié les initiatives : participation au prestigieux Africa CEO Forum, concertation avec les Chambres de commerce américaines de douze pays ouest-africains, entretiens bilatéraux avec plusieurs hauts dirigeants africains, incluant présidents, ministres du Commerce et Affaires étrangères. La dynamique est claire : Washington entend renforcer son ancrage en Afrique de l’Ouest et le fait désormais depuis la Côte d’Ivoire, désignée comme nouveau hub économique francophone.

ABIDJAN INCONTOURNABLE

En installant un bureau à Abidjan, Washington envoie un signal fort : les critères linguistiques, juridiques et économiques prennent le pas sur les symbolismes historiques. La Côte d’Ivoire, dotée d’infrastructures solides, d’une stabilité relative et d’un environnement d’affaires en plein essor, semble incarner davantage aujourd’hui les priorités américaines que Dakar, malgré son passé de capitale diplomatique de l’Afrique francophone.
Ce choix stratégique interroge. Le Sénégal, qui fut longtemps un partenaire privilégié de Washington, notamment à travers les coopérations sécuritaires et les actions de l’USAID, voit peu à peu sa position érodée. Les coupes budgétaires affectant l’aide publique au développement – dont USAID et le Millenium Challenge – en seraient un autre indicateur. Simultanément, des instruments comme Prosper Africa, la US Exim Bank ou encore la DFC (Development Finance Corporation) prennent le relais, avec une logique purement économique.

ÉLAN DE SOUVERAINISME EN AFRIQUE

Face à cette réorientation, les attentes du continent sont claires : retombées locales, transferts de technologie, développement des chaînes de valeur africaines. Des exigences qui traduisent une volonté d’émancipation, mais qui impliquent également une montée en compétence des gouvernements africains dans la négociation des accords internationaux. Car si les États-Unis affichent leur volonté d’agir « autrement », l’Afrique, elle, aspire à ne plus être simplement un réceptacle, mais un acteur à part entière.
Le sort encore incertain du renouvellement de l’AGOA (African Growth and Opportunity Act), dont l’échéance approche en septembre 2025, témoigne aussi de cette incertitude. L’avenir des relations afro-américaines dépendra autant de la clarté des politiques américaines que de la capacité des États africains à défendre des positions communes et ambitieuses.

 Penda THIAM


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