Avortement médicalisé : Le Sénégal a ratifié le Protocole de Maputo, mais peine à l’appliquer

En 2004, le Sénégal ratifiait le Protocole de Maputo, un texte fondamental de l’Union africaine qui garantit aux femmes des droits spécifiques, notamment en matière de santé sexuelle et reproductive. Pourtant, plus de deux décennies plus tard, la réalité sur le terrain reste figée. L’article 14 de ce protocole, qui permet l’accès à l’avortement médicalisé dans des cas exceptionnels — viol, inceste ou danger pour la santé ou la vie de la mère — demeure largement ignoré dans le dispositif législatif sénégalais.

Le Protocole de Maputo n’a pas été signé à la légère. Il s’agit d’un engagement juridique international qui impose aux États signataires, dont le Sénégal, de mettre en œuvre des mesures concrètes pour protéger la santé des femmes. Pourtant, dans la pratique, l’avortement est toujours considéré comme un délit pénal. L’article 305 du Code pénal sénégalais punit toute personne impliquée dans un avortement — qu’il s’agisse de la femme enceinte ou du personnel médical — de six mois à deux ans d’emprisonnement, avec des amendes allant de 20 000 à 100 000 francs CFA.

Les conséquences de cette législation sont dramatiques. Chaque année, selon les chiffres des ONG et des professionnels de la santé, plus de 30 000 femmes et filles risquent leur vie en recourant à des avortements clandestins. Ces pratiques, non encadrées médicalement, exposent les patientes à de graves complications : infections, hémorragies, stérilité, voire la mort. Dans les zones rurales ou reculées, où l’accès aux soins est déjà limité, le danger est encore plus grand. La peur de la prison, la stigmatisation sociale, l’isolement familial, tout cela pèse lourdement sur des victimes déjà vulnérables.

Face à ce constat, plusieurs organisations de la société civile ont décidé de se mobiliser. Une Task Force pour l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste s’est constituée. Composée de juristes, de médecins, de féministes, d’associations et de journalistes, elle mène un plaidoyer intense pour que le Sénégal respecte enfin les dispositions du Protocole de Maputo. Sa mission est double : sensibiliser les décideurs politiques et informer l’opinion publique.

Dans ce cadre, un atelier de mise à niveau a été organisé à Dakar, à l’attention des professionnels des médias. L’objectif : lever les tabous, corriger les malentendus, et fournir aux journalistes des outils fiables pour couvrir cette question délicate. Aïssatou Ndiaye, coordinatrice de la Task Force, a insisté sur la nécessité d’harmoniser le langage et de clarifier les objectifs du plaidoyer. « Ce que nous demandons, ce n’est pas la légalisation généralisée de l’avortement. Il s’agit uniquement d’une autorisation spéciale, encadrée, pour les cas extrêmes prévus par le Protocole », a-t-elle expliqué.

Elle a aussi pointé les blocages persistants. « Au Sénégal, la question de l’avortement est perçue à travers un prisme moral et religieux, souvent déconnecté de la réalité vécue par les femmes. Il faut sortir de cette approche culpabilisante pour adopter une perspective de santé publique, de droit et de dignité humaine. » Pour la Task Force, le moment est crucial. Avec l’arrivée d’un nouveau gouvernement, un espoir renaît. Les militantes veulent rouvrir le dialogue avec les autorités, présenter leurs propositions, évoquer les avancées déjà obtenues, mais aussi rappeler les attentes encore non satisfaites.

Le plaidoyer pour l’application de l’article 14 du Protocole de Maputo n’est pas un combat marginal. Il s’agit d’une exigence de justice, de santé, et de respect des engagements internationaux du Sénégal. Il est urgent que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités face à une question qui touche à la vie et aux droits fondamentaux de milliers de citoyennes.


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