Le prix du riz ne cesse de grimper. En particulier depuis que l’Inde a décidé, l’été dernier, d’interdire ses exportations afin d’éviter tout risque de pénurie. Cette hausse des coûts risque de mettre en péril la sécurité alimentaire de plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, dont le Bénin et le Burkina Faso, qui dépendent principalement des approvisionnements en riz indien.
« En quelques semaines, on a encore pris 20 dollars la tonne de riz. Ça va vite, très vite », constate Thierry Pouch, chef économiste aux Chambres d’agriculture de France et chercheur associé à l’Université de Reims-Champagne-Ardenne.
La flambée des cours, entamée cet été après l’annonce par l’Inde d’une restriction de ses exportations, se poursuit. Avec un riz à plus de 600 dollars la tonne fin janvier 2024, le prix de cette matière première, qui sert d’aliment de base à quatre milliards de personnes sur terre, s’envole à son plus haut niveau depuis quinze ans, faisant craindre une crise alimentaire mondiale.
Après une première interdiction concernant l’exportation de brisures de riz et une taxe de 20 % sur les autres variétés depuis septembre 2022, le Premier ministre indien Narenda Modi a décidé de passer au cap supérieur à l’approche de l’élection du printemps 2024. L’Inde a suspendu ses exportations de riz blanc hors basmati depuis juillet 2023 pour privilégier son marché national et éviter un risque de pénurie ou d’inflation alimentaire. « La décision de l’Inde a provoqué une nervosité des marchés mondiaux », poursuit Thierry Pouch. Inquiet d’une inflation mondiale, le FMI a lui aussi exhorté l’Inde, dès le mois de juillet, à lever son interdiction. En vain.
Au bouleversement suscité par la décision indienne s’ajoutent les craintes liées aux aléas climatiques en Asie du Sud-Est. Cette année encore, selon les météorologues, le phénomène El Nino se poursuit et pourrait provoquer une baisse des précipitations dans les zones rizicoles, ce qui aurait des conséquences sur le rendement des rizières.
Les réactions de la Thaïlande et du Vietnam scrutés de près
L’Inde est le premier exportateur de riz sur la planète, réalisant à lui seul plus de 40 % des exportations mondiales, devant la Thaïlande, le Vietnam et dans une certaine mesure, le Pakistan.
Mais Thierry Pouch se veut rassurant : « Il y aurait manifestement de quoi couvrir la consommation mondiale, en tenant compte de l’état des stocks du Vietnam et de la Thaïlande. Il n’y a pas, a priori, de risque de pénurie alimentaire. » Toutefois l’économiste n’exclut pas que ces deux pays décident de restreindre à leur tour leurs exportations si les prix mondiaux continuent de grimper, de façon à ce que les prix intérieurs restent abordables pour les consommateurs vietnamiens et thaïlandais.
Pour le moment, le Vietnam et la Thaïlande profitent surtout de la crise indienne pour exporter davantage leur riz. « Il faut savoir que la Thaïlande a même dépassé son objectif d’exportation en 2023. Donc, les restrictions indiennes ont été vécues comme une opportunité de marché », commente Anissa Bertin, chargée de projet au club Demeter et spécialiste des enjeux géopolitiques, de l’agriculture et de l’alimentation.
Le Vietnam et la Thaïlande, dont les partenaires sont essentiellement asiatiques, envisagent même de se tourner vers les pays africains, particulièrement dépendants du riz indien.
Contracter des dettes pour acheter du riz cher
Le risque posé par cette crise ne concerne pas tant une possible pénurie que la hausse du prix élevé du riz, qui va priver certains habitants de la planète de cette denrée. « Pour les pays africains, si les restrictions indiennes à l’exportation se poursuivent et si les prix continuent à flamber, ça risque d’être compliqué », avance Thierry Pouch.
Et ce d’autant plus que les prix du blé ont eux aussi explosé avec la crise engendrée par la guerre en Ukraine. « Pour des pays qui sont structurellement endettés, la difficulté va être de demander un nouvel échéancier de leur dette, voire même de contracter de nouvelles dettes pour pouvoir acheter des produits agricoles à prix fort. »
Or le riz est la principale denrée consommée en Afrique subsaharienne, à raison de 38,8 millions de tonnes par an. Le problème étant que la région est particulièrement dépendante des importations. Elles représentent 45 % du riz que ses habitants consomment.
Les principales destinations de la production indienne sont la Côte d’Ivoire, le Sénégal, le Bénin, le Niger, le Nigeria et le Togo, explique Thierry Pouch, précisant que pour la Guinée et le Burkina Faso, entre 70 % et 80 % du riz importé est indien.
Dans ce contexte, plusieurs pays dont le Cameroun, la Côte d’Ivoire et la Guinée se sont tournés vers l’Inde en octobre 2023 pour négocier des exemptions et ont obtenu gain de cause. L’Inde a accepté de livrer 1,34 million de tonnes de riz à ces pays africains, et plusieurs partenaires asiatiques.
Ces tractations vont permettre de maintenir les prix à un niveau raisonnables, mais jusqu’en février seulement. « Cela montre une certaine écoute du gouvernement indien vis-à-vis des besoins de l’Afrique. Il ne s’agit pas de déstabiliser le monde encore plus qu’il ne l’est. Mais ce partenariat ne peut couvrir qu’une petite partie des besoins sur l’année – quatre mois. L’Afrique subsaharienne représente à peu près 18 millions de tonnes importées par an. On est loin du compte », fait valoir Thierry Pouch.
Vers de nouvelles émeutes de la faim ?
L’enjeu dépasse le seul risque d’une crise alimentaire. Pour le chercheur, la hausse des prix du riz pourrait être lourde de conséquence, avec l’apparition de révoltes de la faim dans des pays qui vivent déjà une certaine forme d’instabilité politique. D’autres analystes vont dans le même sens, craignant que le monde ne revive l’onde de choc de la crise du riz de 2008, qui avait été suivie d’émeutes en Afrique du Nord, en Asie du Sud et notamment à Haïti, dans les Caraïbes.
Un scénario nuancé par Anissa Bertin. L’analyste estime que le contexte, bien que grave et sérieux, est loin d’être identique : « En 2008, le prix du riz avait franchi la barre des 1 000 dollars la tonne. La crise financière des subprimes était passée par là et elle avait entraîné une flambée du prix des matières alimentaires, considérées comme refuges. Les États-Unis avaient décidé d’investir sur le bio éthanol parce que les prix du pétrole avaient augmenté, alors le prix du maïs avait lui aussi flambé et donc on se tournait vers d’autres céréales, comme le riz. »
La Russie en sort gagnante
Si de nouveaux accords ne sont pas trouvés avec l’Inde, les pays concernés vont se tourner vers d’autres sources d’approvisionnement, comme le Vietnam et la Thaïlande, mais aussi envisager de développer leur propre production. « L’Afrique produit déjà près de 55 % à 60 % de sa consommation de riz, principalement au Nigeria, mais aussi en Guinée, au Mali, en Côte d’Ivoire et au Sénégal », rappelle Anissa Bertin.
En coulisses, un autre acteur se tient prêt lui aussi : la Russie. Grâce à sa production de blé, que Thierry Pouch estime à près de 100 millions de tonnes pour 2024, Moscou dispose d’un levier puissant pour peser encore davantage dans la géopolitique du continent. En cas de besoin, les Russes seront à même de fournir la précieuse céréale aux États africains.
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