L’annonce de la création de 8 pôles-territoires aurait pu être une avancée majeure pour le développement du pays. Malheureusement, cette réforme soulève de nombreuses interrogations :
Sur quelles bases repose-t-elle ?
Quelle est sa viabilité économique ?
Comment ces pôles s’intègrent-ils dans l’organisation territoriale existante ?
En l’absence d’une étude de faisabilité sérieuse, cette initiative ressemble davantage à un projet improvisé qu’à une véritable vision de développement. De nombreuses incohérences subsistent, notamment sur la viabilité toponymique, la logique géostratégique, l’impact économique et l’articulation avec les structures existantes.
- Une cartographie arbitraire et sans fondement géostratégique
Un aménagement du territoire efficace repose sur une analyse rigoureuse des dynamiques économiques, sociales et culturelles. Or, dans le cas des pôles-territoires, aucun élément concret ne permet de justifier leur délimitation.
Sur quoi se sont-ils appuyés pour définir ces zones ?
• Les flux économiques existants ?
• Les ressources naturelles et infrastructures disponibles ?
• Les liens historiques et socioculturels entre les territoires ?
Aucune explication claire n’a été fournie. On ne peut pas créer un pôle de développement par simple décision administrative. Un découpage territorial doit répondre à des logiques de mobilité, d’accessibilité et de complémentarité entre les différentes régions. - Une absence totale de viabilité toponymique
Un territoire ne se limite pas à une délimitation géographique : il doit avoir une identité forte et une reconnaissance historique. Or, ces pôles-territoires ne reposent sur aucune identité territoriale préexistante.
Les régions actuelles ont des spécificités économiques bien ancrées :
• Thiès est un pôle industriel et logistique.
• Ziguinchor est un centre agro-industriel avec un accès maritime stratégique.
• Saint-Louis doit faire une reconversion autour du gaz.
• Kaolack est un carrefour d’échanges qui a un potentiel de tourisme religieux extraordinaire.
En tentant de redessiner artificiellement la carte administrative sans prendre en compte ces réalités, on risque d’effacer les dynamiques locales au lieu de les renforcer. - Une viabilité économique inexistante : où est le modèle de financement ?
Un pôle ne peut fonctionner que si des investissements massifs sont prévus pour développer les infrastructures, attirer les entreprises et structurer l’économie locale. Or, plusieurs questions restent sans réponse :
• Quels secteurs économiques seront développés dans ces pôles ?
• Quelles infrastructures seront mises en place pour les rendre attractifs ?
• Quel sera le modèle de financement et qui prendra en charge ces investissements ?
Créer des pôles-territoires sans garantir leur viabilité économique, c’est prendre le risque de bâtir des zones sans activité, sans attractivité et sans retombées pour les populations. - L’absence de calcul de l’indice potentiel de développement territorial (IPDT)
Avant d’engager une réforme territoriale d’une telle envergure, il est impératif d’évaluer objectivement le potentiel de développement de chaque zone. Une telle évaluation repose sur un indice de développement territorial, conçu pour mesurer la capacité d’un territoire à se structurer et à générer une dynamique économique durable. Cet indice devrait intégrer plusieurs paramètres clés, notamment :
• La capacité du territoire à générer de la croissance : Cela inclut l’analyse de ses secteurs économiques porteurs, de son tissu entrepreneurial et de sa contribution au PIB régional.
• Son niveau d’attractivité pour les investisseurs : Un territoire attractif doit offrir un cadre réglementaire favorable, un environnement économique stable et des perspectives de rentabilité à moyen et long terme.
• Ses contraintes structurelles : Il s’agit d’évaluer les infrastructures disponibles (routes, énergie, télécommunications), la qualification de la main-d’œuvre locale et la facilité d’accès aux marchés nationaux et internationaux.
Or, dans le cadre des pôles-territoires, cet indice fondamental n’a même pas été calculé. L’absence d’une telle étude de faisabilité signifie que les décisions sont prises sans une vision claire des forces et des faiblesses de chaque territoire. En procédant ainsi, on risque non seulement d’investir dans des zones peu propices au développement, mais aussi de négliger des territoires qui auraient pu devenir de véritables moteurs économiques. Une réforme territoriale efficace ne peut se faire à l’aveugle : elle doit être guidée par des données rigoureuses, permettant d’orienter les choix stratégiques de manière rationnelle et efficiente. - Une désorganisation institutionnelle totale : quel impact sur les régions, les Agropoles et les gouverneurs ?
La mise en place des pôles-territoires soulève de nombreuses interrogations quant à leur articulation avec les structures administratives et économiques existantes. En l’absence d’un cadre clair, cette réforme risque d’engendrer une confusion institutionnelle et une dilution des responsabilités.
Quel avenir pour les régions ?
L’intégration des pôles-territoires dans l’architecture institutionnelle actuelle demeure floue. Plusieurs questions se posent :
• Ces nouvelles entités remplaceront-elles purement et simplement les régions actuelles ou coexisteront-elles avec elles, au risque de créer des chevauchements de compétences ?
• Si coexistence il y a, quelles seront les missions spécifiques attribuées aux pôles-territoires et celles qui resteront sous l’autorité des collectivités locales ?
• La gouvernance territoriale sera-t-elle renforcée ou, au contraire, affaiblie par la multiplication des niveaux administratifs ?
Sans clarification sur ces points, le risque est grand de voir émerger une dualité d’autorités, source de conflits de compétences et d’inefficacité dans la gestion des politiques publiques.
Quel impact sur les Agropoles ?
Les Agropoles, conçus pour structurer et dynamiser les filières agricoles régionales, pourraient être fragilisés par cette réforme. Plusieurs incertitudes subsistent :
• Seront-ils intégrés dans ces nouveaux pôles-territoires ou relégués au second plan ?
• Leurs financements seront-ils maintenus ou détournés vers ces nouvelles structures, au risque de ralentir des projets déjà en cours ?
• Les acteurs du secteur agricole bénéficieront-ils d’une meilleure coordination ou, au contraire, d’une dispersion des ressources et des moyens d’action ?
Toute réforme territoriale devrait, en principe, renforcer les dynamiques économiques locales. Or, en l’absence de garanties sur la continuité et l’efficacité des Agropoles, cette refonte institutionnelle pourrait compromettre leur rôle dans la modernisation de l’agriculture.
Quel rôle pour les gouverneurs et l’administration déconcentrée ?
L’introduction des pôles-territoires soulève également la question de leur gouvernance :
• Ces pôles seront-ils dotés d’autorités administratives propres, avec un mode de désignation spécifique ?
• Seront-ils placés sous la tutelle de gouverneurs nommés par l’État ou bénéficieront-ils d’une autonomie de gestion avec des dirigeants élus ?
• Quel sera l’impact de cette réforme sur les services déconcentrés de l’État et leur capacité à assurer un suivi efficace des politiques publiques locales ?
Sans un cadre de gouvernance clair et stable, cette réforme risque de générer une perte de repères institutionnels, compromettant ainsi la continuité et l’efficacité de l’action publique au niveau local.
Une réforme confuse et difficilement applicable
L’absence de réponses précises à ces interrogations traduit une réforme insuffisamment préparée, aux contours mal définis. En l’état, elle ne fait qu’accroître l’incertitude institutionnelle et menace de désorganiser l’ensemble du maillage territorial. Si l’objectif est d’améliorer la gouvernance et le développement territorial, il est impératif d’apporter des clarifications sur le rôle exact de ces pôles, leurs interactions avec les structures existantes et leurs modalités de financement. À défaut, cette réforme risque d’être une source supplémentaire de blocages et d’inefficacité.
- Une alternative plus efficace : développer les métropoles d’équilibre
Plutôt que d’initier artificiellement des pôles-territoires sans fondement économique solide, il est plus pertinent de s’appuyer sur les métropoles d’équilibre identifiées dans le Plan National d’Aménagement et de Développement Territorial (PNADT). Ces villes, qui disposent déjà d’un socle économique et infrastructurel, constituent des leviers stratégiques pour structurer et dynamiser l’ensemble du territoire.
Pourquoi concentrer les efforts sur les métropoles d’équilibre ?
- Des pôles de développement déjà existants
Contrairement aux pôles-territoires conçus ex nihilo, les métropoles d’équilibre s’appuient sur un dynamisme économique et social préexistant. Des villes comme Dakar, Thiès, Touba, Saint-Louis, Kaolack et Ziguinchor disposent déjà d’infrastructures solides, d’un tissu économique structuré et d’un rayonnement régional affirmé. Elles attirent des investissements, concentrent des activités industrielles, commerciales et universitaires, et bénéficient d’un capital humain qualifié.
Plutôt que de disperser les ressources dans des projets incertains, il est plus judicieux de renforcer ces centres en consolidant leurs atouts et en optimisant leur intégration avec les territoires environnants. - Une approche territoriale plus cohérente
Une métropole se développe à partir d’un point central et structure progressivement les conurbations qui l’entourent, tandis qu’un pôle-territoire repose sur une approche superficielle, cherchant à organiser un espace large autour d’un point d’ancrage à créer. Si ces deux modèles poursuivent des objectifs similaires en matière d’aménagement, l’expérience montre qu’il est bien plus efficace d’accompagner l’essor de territoires qui se construisent naturellement que de tenter d’en inventer sans garantie de viabilité.
En renforçant les métropoles existantes, on s’appuie sur une dynamique urbaine et économique déjà enclenchée, ce qui garantit une meilleure allocation des ressources et un impact plus immédiat sur le développement régional. Chaque métropole peut jouer un rôle structurant en fonction de ses atouts spécifiques :
• Thiès : Plaque tournante du transport et de l’industrie, grâce à sa position stratégique et à ses infrastructures ferroviaires et routières.
• Ziguinchor : Hub agro-industriel et logistique, soutenu par un développement des infrastructures portuaires et de transformation des produits agricoles.
• Saint-Louis : Centre d’innovation et de recherche universitaire, avec un accent sur l’agriculture durable, la pêche et le gaz.
• Tambacounda : Plateforme régionale du textile et du commerce, appuyée par un port sec facilitant les échanges avec les pays voisins.
• Kaolack : Pôle du commerce et de la transformation des produits agroalimentaires, notamment le sel, l’arachide et le tourisme religieux.
• Dahra : Centres de développement de l’élevage, de l’industrie agro-pastorale et la gomme arabique.
• Kédougou : Hub minier et métallurgique, en lien avec l’exploitation des ressources naturelles de la région. - Une allocation plus efficace des ressources
Concentrer les investissements sur des pôles urbains en pleine croissance permet une utilisation plus rationnelle des ressources publiques et privées. Plutôt que d’éparpiller les financements sur des initiatives isolées et peu viables, il convient de prioriser :
• L’amélioration des infrastructures de transport : Modernisation des routes, développement du réseau ferroviaire, extension des ports et des aéroports.
• La création de conditions favorables aux entreprises et aux industries : Zones économiques spéciales, allègements fiscaux, mise en place d’incubateurs et de pôles d’innovation.
• Le renforcement de l’offre de formation et d’éducation : Universités, écoles techniques et centres de formation professionnelle spécialisés en fonction des spécificités économiques de chaque métropole.
Cette approche garantit un effet multiplicateur des investissements, en stimulant la croissance, en créant des emplois et en améliorant la compétitivité du pays. - Une véritable décentralisation et un rééquilibrage territorial
Le renforcement des métropoles d’équilibre est une réponse directe à la macrocéphalie de Dakar, où se concentrent aujourd’hui l’essentiel des activités économiques, des infrastructures et des services. Ce déséquilibre entraîne des congestions urbaines, une pression foncière excessive et des inégalités régionales marquées.
En consolidant le rôle des métropoles régionales, on crée de nouveaux pôles d’attractivité capables :
• D’absorber une partie de la population et des investissements.
• De limiter l’exode rural et la migration vers Dakar.
• D’assurer un meilleur maillage du territoire avec des infrastructures adaptées aux besoins locaux.
Ainsi, plutôt que d’imposer des pôles artificiels sans viabilité économique, la consolidation des métropoles d’équilibre s’inscrit dans une logique pragmatique, efficace et durable, garantissant un développement plus harmonieux du Sénégal.
Les pôles-territoires constituent une impasse : misons sur les métropoles
La mise en place des huit pôles-territoires repose sur une réforme précipitée, mal conçue et déconnectée des réalités économiques. Plutôt que de redessiner artificiellement la carte administrative du pays, il est bien plus pertinent de consolider les métropoles existantes. Celles-ci ont déjà un rôle structurant, une dynamique économique avérée et un fort potentiel de croissance.
Les métropoles ne sont pas le fruit d’un découpage arbitraire, mais le résultat d’une étude scientifique rigoureuse, menée de manière inclusive, tenant compte des réseaux linéaires (infrastructures de transport et communication), des points stratégiques (hubs économiques et industriels) et des espaces surfaciques (bassins agricoles, pôles urbains). Elles s’inscrivent ainsi dans une logique d’aménagement du territoire fondée sur des réalités mesurables et vérifiables.
Poursuivre le développement des métropoles revient à capitaliser sur des investissements déjà engagés dans des infrastructures majeures : autoroutes, ports, universités, zones industrielles et logistiques. C’est donner de la continuité aux efforts déployés pour moderniser le pays, en garantissant une cohérence dans l’aménagement et une optimisation des ressources. Si l’objectif est de bâtir un Sénégal équilibré et compétitif, alors le choix des métropoles d’équilibre s’impose comme la seule stratégie viable et pragmatique.
Mamadou DJIGO
Ingénieur Aménageur et Développeur de Territoires
Ancien Dg de l’ANAT
Administrateur du Cabinet T&D
Consultant international
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