Dans un contexte de crise économique et de turbulences politiques, Ousseynou Diallo, juriste et leader du Mouvement « Jëf – Citoyens d’Action », dénonce avec vigueur les vagues de licenciements abusifs au sein des institutions publiques, l’inquiétante absence de validation du rapport de la Cour des comptes, ainsi que l’illégalité manifeste d’une éventuelle anticipation des élections locales. Plus encore, il s’élève contre la précarité grandissante qui frappe de plein fouet la population sénégalaise, et en particulier les habitants de Hann/Bel-Air, une commune stratégique pour l’économie nationale, mais négligée et privée de la considération et du soutien qu’elle mérite.
Face à l’urgence du chômage et de la précarité, comment interprétez-vous les récentes vagues de licenciements et la réduction des salaires au sein des administrations étatiques ?
L’emploi et le salaire sont des droits fondamentaux, piliers de la dignité humaine. C’est pour cette raison que, sous ma direction, le Mouvement « Jëf-Citoyens d’Action » forme et outille les jeunes pour un emploi durable et encourage l’entrepreneuriat féminin. Les licenciements orchestrés par certains dirigeants sont des manœuvres destructrices, sectaires et intolérables, plongeant nos frères et sœurs sénégalais dans une misère humiliante. Un dirigeant compétent doit privilégier le redéploiement et la réorganisation fonctionnelle au lieu de recourir à des licenciements massifs. Le Président de la République Son Excellence Bassirou Diomaye Faye doit exiger de son Gouvernement qu’il mette un terme aux licenciements abusifs et qu’il engage des réformes profondes pour garantir une politique salariale plus équitable au sein de l’État. Il est impératif de réduire les écarts de rémunération injustifiés entre les fonctionnaires et de supprimer les dispositifs financiers abusifs qui nuisent à notre économie, tels que les fonds politiques ou secrets.
Les programmes de migration professionnelle entre le Sénégal, l’Espagne et le Qatar représentent-ils une solution pérenne au chômage structurel ou ne constituent-ils qu’un palliatif temporaire?
À mon avis, bien que les programmes de migration offrent des opportunités professionnelles temporaires, ils ne constituent pas une véritable solution au chômage structurel au Sénégal. D’ailleurs, le gouvernement en place a toujours refusé de considérer l’émigration des jeunes comme une réponse aux défis socio-économiques du pays, privilégiant plutôt leur rétention pour contribuer au développement national. Cette contradiction illustre une politique hésitante. En tout cas, les programmes de migration permettent d’accéder à des emplois à l’étranger aux causes profondes du chômage au Sénégal, notamment un système éducatif défaillant, un manque de formation adéquate et l’absence d’un véritable secteur industriel. Pour résoudre le chômage structurel au Sénégal, il est crucial de réformer le système éducatif, de développer la formation professionnelle adaptée aux besoins du marché et de favoriser la création d’emplois locaux dans des secteurs clés comme l’industrie et l’agriculture.
Que pensez-vous du dernier rapport de la Cour des comptes ?
La publication d’un rapport non signé par la Cour des comptes soulève effectivement des interrogations légitimes. L’absence de cette formalité cruciale devrait obliger la Cour à fournir une explication officielle par le biais d’un communiqué, afin d’éclairer les Sénégalais sur les raisons de cette omission. En démocratie, il est du droit des citoyens d’exiger des réponses de la part de nos institutions publiques, y compris la Cour des comptes. Sans adhérer aux théories de manipulation des chiffres qui ont été évoquées, je considère qu’il est essentiel de fournir aux Sénégalais une analyse rigoureuse et impartiale de la gestion publique, libre de toute instrumentalisation politique ou suspicion de manipulation, afin de prévenir toute justification de poursuites partiales.
Lors des élections législatives, quelles motivations vous ont conduit à soutenir la liste du parti Pastef, et comment ce choix s’intègre-t-il dans votre vision politique globale ?
Lors des législatives anticipées, nous avons effectivement choisi de soutenir la liste du parti Pastef. Accorder la majorité à une opposition déconnectée des véritables attentes de notre jeunesse et de l’ensemble des Sénégalais aurait conduit à un blocage institutionnel, freinant des réformes cruciales. Pastef partageait notre vision : faire de l’emploi et de la formation des jeunes et des femmes une priorité absolue. En lui apportant notre soutien, nous voulions bâtir une majorité parlementaire forte, porteuse de politiques ambitieuses, capable d’accélérer l’insertion professionnelle et de transformer en profondeur nos institutions. Ce choix était, pour nous, le moteur d’un changement durable, fidèle aux aspirations du peuple sénégalais.
Comment évaluez-vous votre alliance avec le parti Pastef et, plus largement, la gouvernance de Son Excellence Bassirou Diomaye Faye ?
Notre soutien n’a pas seulement renforcé les rangs du Pastef, il a déclenché une ascension électorale fulgurante. Aujourd’hui, bien que nous restions fidèles à notre objectif de changement durable, nous ne pouvons ignorer notre regret face à la gouvernance actuelle, qui ne répond pas entièrement aux attentes placées en elle. En effet, la gouvernance du président Bassirou Diomaye Faye révèle une forte tendance à la gestion partisane et opaque. Les appels à l’inclusion ne sont que des illusions, dissimulant un système de nominations partisanes qui trahit l’essence même d’un engagement citoyen sincère. Pendant ce temps, le président prône la Vision Sénégal 2050, exhortant tous les Sénégalais, y compris la diaspora, à bâtir un avenir prospère et juste. Il est par conséquent urgent de briser cette façade et d’exiger une gouvernance réellement ouverte, transparente et efficace.
La récente séance de questions à l’Assemblée nationale, à laquelle a participé le Premier ministre Ousmane Sonko, a-t-elle répondu aux attentes des citoyens ?
J’estime que derrière l’image démocratique de cette séance, ce n’est qu’une mise en scène. L’Assemblée nationale, censée être un contre-pouvoir, était devenue un simple spectacle où les députés ont privilégié questions politiques plutôt que les vrais problèmes des citoyens. Malgré les annonces d’Ousmane Sonko sur le coût de la vie et les finances publiques, les préoccupations des populations sont restées intactes. Ma proposition est qu’il faut créer une plateforme où les citoyens définissent les questions à poser au Gouvernement, que les députés soumettront officiellement, pour rendre l’Assemblée plus en phase avec les préoccupations des populations.
Vous êtes juriste. Quelle est votre analyse juridique et politique face à l’annonce controversée de l’anticipation des élections locales, déplacée de 2027 à 2025 ?
Forcer des élections municipales en 2025 serait non seulement contraire à la loi, mais aussi une démarche inacceptable. Le Code électoral est clair : les élections locales ne peuvent se tenir avant la cinquième année du mandat, soit à partir de fin janvier 2026, avec un calendrier officiel prévoyant même une date au plus tard en janvier 2027. Toute tentative de les avancer relèverait d’une manœuvre politique et ignorerait les réelles préoccupations des Sénégalais. Le président de la République, Son Excellence Bassirou Diomaye Faye, ainsi que le Premier ministre Ousmane Sonko, ont la responsabilité de respecter scrupuleusement ce calendrier électoral afin de préserver la stabilité et la légitimité des institutions.
La révocation de M. Barthélémy Dias, maire de Dakar, ne plaide-t-elle pas pour une réforme du Code électoral en ce qui concerne les règles d’inéligibilité des élus ?
La révocation de M. Barthélémy Dias, bien que regrettable, s’inscrit dans le cadre de l’application des règles prévues par notre législation. En effet, l’article L.277 du Code électoral dispose qu’en cas d’inéligibilité ou d’incompatibilité, le maire peut être démis de ses fonctions par le représentant de l’État, au même titre que n’importe quel conseiller. Il faut souligner que le maire demeure avant tout un conseiller municipal. Cependant, j’estime qu’il est essentiel de réévaluer certaines des règles d’inéligibilité et d’incompatibilité, afin de qu’elles n’entravent pas l’efficacité de l’action publique. Il devient crucial de réformer ces critères en tenant compte des situations des élus déjà en fonction, tout en veillant à leur offrir une meilleure protection juridique, afin de préserver leur droit à participer pleinement à la vie politique sans risquer des sanctions injustifiées ou à connotation politique.
Face aux débats intenses sur l’abrogation de la loi d’amnistie de mars 2024, quelle position adoptez-vous : son annulation totale ou une révision partielle ?
Plutôt que d’annuler purement et simplement cette loi – une décision qui ne ferait qu’alimenter des tensions déjà vives –, je suis d’avis qu’il est impératif de la repenser en profondeur et avec discernement pour combler les failles de l’impunité. Adoptée en mars 2024 pour apaiser une crise politique aiguë, l’amnistie visait à restaurer la cohésion nationale. Pourtant, certaines de ses dispositions semblent protéger des actes d’une gravité inquiétante. Une révision partielle et ciblée, distinguant clairement les délits politiques des abus intolérables, offrirait un équilibre essentiel entre réconciliation et justice.
Comment jugez-vous le plan d’indemnisation mis en place par le gouvernement sénégalais en réponse aux troubles politiques et aux violences survenues entre 2021 et 2024 ?
Sans la moindre enquête judiciaire ni mesure sérieuse pour identifier les responsables des violences, ce plan d’indemnisation ressemble davantage à manœuvre politicienne déguisée en geste de justice. Pire encore, en excluant arbitrairement de nombreuses victimes, notamment les commerçants ruinés par les pillages, il impose une vision biaisée et partiale de la notion même de victime. Cette désignation partiale des victimes constitue une injustice manifeste, semblant exclusivement bénéficier aux militants de Pastef. Pour garantir justice, une commission indépendante aurait dû enquêter de manière impartiale sur les violences, afin de déterminer les responsabilités et élargir l’indemnisation à toutes les victimes, y compris les commerçants, sur des critères objectifs et transparents.
Plusieurs organisations soutiennent la réforme du Code de la famille au Sénégal, notamment sur la « puissance paternelle ». Quels sont les principaux obstacles à cette réforme, selon vous ?
L’article 277 du Code de la famille accorde l’autorité parentale exclusivement au père durant le mariage, un principe aujourd’hui contesté pour rendre une certaine justice aux femmes et aux enfants. A mon avis, une collaboration entre juristes, leaders religieux et société civile est la clé pour créer un cadre légal équilibré. En attendant une réforme législative, les juges devraient, en cas de divorce, permettre au parent gardien, souvent la mère, de prendre certaines décisions pour l’enfant et dans son intérêt sans l’accord systématique du père.
En tant que plus jeune candidat de la présidentielle 2024, quelles ambitions nourrissez-vous pour les prochaines échéances électorales, notamment au niveau local ?
Je refuse de voir le Sénégal s’enliser dans la médiocrité, où la jeunesse, les femmes et nos aînés sont étouffés par une politique politicienne stérile. C’est cette révolte qui m’a poussé à briguer la présidence, mais je crois que le changement commence localement. À Hann/Bel-Air, je veux accomplir ce que Babacar Mbengue n’a pas fait en 20 ans.
Hann/Bel-Air, qui porte 70% du tissu industriel du pays et génère une part substantielle de la richesse nationale, est négligée. Les jeunes et les femmes manquent d’opportunités, faute d’emplois, de formations et de financements. C’est une forme de « paradoxe économique ». Face à cette injustice, nous avons formé des alliances stratégiques, notamment avec le parti Natangué Askan Wi, pour apporter des solutions concrètes et transformer la réalité locale.
Propos recueillis par Sophie Loraine Ba
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