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CONTRIBUTION

Pour l’honneur du doctorat au Sénégal

Monsieur, le Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, 

Je me permets de vous transmettre par ces mots quelques maux auxquels est confronté le cycle doctoral au Sénégal et solliciter votre attention bienveillante sur ce sujet crucial pour l’avenir de notre système éducatif et de notre développement scientifique.

Le cycle doctoral au Sénégal doit urgemment faire l’objetd’une révision (« Jubanti ») pour remédier aux multiples problèmes structurels rencontrés par les doctorants, notamment des :

Problèmes de financement des thèses

La majorité des thèses sénégalaises, voire la totalité, ne bénéficient d’aucun financement dédié. Les doctorants ne perçoivent qu’une bourse mensuelle de soixante-cinq mille francs CFA, insuffisante pour couvrir leurs besoins. Pour subvenir à leurs besoins, nombre d’entre eux sont contraints de jongler entre leurs recherches et des emplois à temps partiel, souvent en donnant des cours magistraux (CM), des travaux dirigés (TD) ou des travaux pratiques (TP) dans les universités publiques et privées. Parfois, ils occupent d’autres emplois sans lien avec leur domaine de recherche.

Sans financement adéquat, les doctorants peinent à accéder aux ressources essentielles à la conduite efficace de leurs travaux, qu’il s’agisse de matériel de laboratoire, de logiciels spécialisés, de données statistiques, d’ouvrages et de publications scientifiques. Ces contraintes financières limitent également leur capacité à participer à des conférences, à collaborer avec d’autres chercheurs et à s’intégrer dans des réseaux scientifiques nationaux et internationaux. Cet isolement freine leur développement professionnel et réduit les opportunités de collaboration et de diffusion de leurs travaux.

La précarité financière est également une source majeure de stress et d’anxiété pour les doctorants. Combinée aux pressions académiques, elle peut entraîner des problèmes de santé mentale tels que la dépression et l’épuisement professionnel, affectant le bien-être et la capacité des doctorants à mener des recherches de qualité. En plus de ces défis financiers, les doctorants font face à un problème crucial d’encadrement.

Problèmes d’encadrement des thésards

Monsieur le Ministre,

Permettez-moi de vous interpeller en tant que Docteur pour évoquer ce problème crucial qui gangrène la vie doctorale au Sénégal. Même si vous avez obtenu votre doctorat dans un autre pays, vous comprenez sans doute les défis que les doctorants affrontent au Sénégal en matière de suivi et d’encadrement de qualité.

De nombreux doctorants rencontrent des difficultés pour trouver des encadrants disponibles. Les enseignants-chercheurs qualifiés sont souvent surchargés par des responsabilités multiples, notamment l’enseignement, la recherche, et les tâches administratives. Cette surcharge limite le temps et l’attention qu’ils peuvent consacrer à chaque doctorant. Même lorsque des encadreurs sont disponibles, la qualité de l’encadrement peut varier. Certains encadreurs manquent de formation spécifique en supervision de recherche, ce qui peut affecter leur capacité à guider efficacement les doctorants dans leurs travaux. Les doctorants signalent souvent le manque de retour constructif, de suivi régulier et de soutien méthodologique.

Les encadreurs doivent souvent superviser un nombre excessif de doctorants en plus de leurs autres responsabilités académiques. Cette surcharge de travail réduit leur capacité à fournir un encadrement de qualité, personnalisé et soutenu pour chaque doctorant. Cela conduit à des retards dans les travaux de recherche, ainsi qu’à des frustrations chez les doctorants. Ces frustrations peuvent affecter leur motivation, saper leur moral et allonger la durée de réalisation des thèses.

De plus, les infrastructures de recherche et les ressources académiques, telles que les laboratoires, les bibliothèques et les équipements, sont souvent insuffisantes dans les universités sénégalaises. Cela limite les opportunités de collaboration et d’encadrement pratique, essentielles pour de nombreux domaines de recherche. Sans un accès adéquat à ces ressources, les doctorants ne peuvent pas mener à bien leurs recherches de manière efficace et productive.

Ces différents problèmes entraînent des retards significatifs dans la progression des travaux de thèse, voire l’abandon des thèses en cours. Ils remettent également en question la qualité et l’originalité des recherches, réduisant leur impact potentiel. En conséquence, beaucoup de thèses doctorales durent plus de trois ans, parfois même plus de cinq ans voire plus de dix ans, alors qu’une thèse dure généralement trois ans dans les pays où le financement et l’encadrement sont bien gérés.

Témoignage personnel

Monsieur le Ministre,

Je vous adresse ce témoignage personnel afin de démontrer les effets négatifs de ces problèmes de financement et d’encadrement sur la réalisation d’une thèse de doctorat. 

En 2013, durant ma première année universitaire à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, j’avais comme professeurs de travaux dirigés (TD) des doctorants dont la plupart viennent seulement de devenir docteurs, tandis que d’autres sont toujours en thèse ou ont abandonné. Or, moi qui étais leur étudiant, je suis devenu docteur en début 2023 après trois années de thèse et deux diplômes de master 2. Cela a été possible car j’ai eu la chance de quitter le Sénégal pour la France après ma licence en 2015, échappant ainsi aux problèmes de financement et d’encadrement. 

Ma thèse en France a été entièrement financée par une entreprise, et j’ai été salarié de cette entreprise pendant toute la durée de la réalisation de ma thèse. Cette entreprise m’a fourni l’ensemble des moyens matériels et pédagogiques nécessaires à la bonne et efficace réalisation de ma thèse et a même versé mes frais d’inscription pendant toute la durée de la thèse. En France, les doctorants bénéficient d’un contrat doctoral qui leur permet de gagner un salaire décent, assurant une stabilité financière. Ils disposent également des ressources financières nécessaires pour la bonne réalisation de leur thèse, fournies par le financeur du projet de thèse ou l’employeur. De plus, les doctorants reçoivent des formations professionnelles qui les préparent à diverses carrières tant académiques queprofessionnelles, leur permettant d’intégrer le marché du travail plus facilement après leur soutenance.

Souhaits pour améliorer le cycle doctoral du Sénégal

Monsieur le Ministre, 

Pour (re)mettre le doctorat sénégalais au service du développement, inspirons-nous du modèle français de financement et d’encadrement des thèses. Ce modèle inclut :

Contrats doctoraux : offrir des contrats financés par des organismes publics et privés pour assurer un soutien financier stable aux doctorants.

Encadrement structuré : organiser l’encadrement par les écoles doctorales, les laboratoires de recherche et les directeurs de thèse.

Comité de suivi individuel : veiller au bon déroulement de la thèse et évaluer annuellement les conditions de travail et les avancées de la recherche.

Formations professionnelles : proposer des formations professionnelles pour préparer les doctorants à diverses carrières académiques et professionnelles.

Ces mesures améliorent les conditions de vie et de travail des doctorants, renforcent la qualité de la recherche scientifique et facilitent l’insertion professionnelle des docteurs. En France, le doctorant est moins considéré comme étudiant et davantage comme un professionnel en formation. Grâce à son expertise scientifique et ses compétences professionnelles acquises durant la thèse, le docteur peut plus facilement intégrer le marché du travail, y compris en dehors du milieu académique.

Monsieur le Ministre, 

Ces éléments peuvent servir d’inspiration pour améliorer les systèmes de financement et d’encadrement des thèses au Sénégal, où l’aspiration première des docteurs est de se faire recruter à l’université, malgré les contraintes de recrutement actuelles. Un diagnostic sans complaisance et des réformes sont nécessaires pour rendre ce parcours plus attractif et durable.

Je vous remercie de l’attention portée à cette requête et reste à votre disposition pour toute information complémentaire.

                                                                                                           

                                                                                                           Balla KHOUMA 

                                                                                                            Statisticien Economiste de la Santé

                                                                                                            Docteur en Sciences Economiques


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