L’ouverture d’une information judiciaire dans l’affaire des 125 milliards F CFA continue de faire des vagues au Sénégal. Alors que les autorités judiciaires cherchent à recouvrer les fonds publics détournés, l’ancien magistrat Ibrahima Hamidou Dème met en garde contre une possible instrumentalisation de la justice par le pouvoir exécutif.
Dans une publication diffusée sur son compte Facebook ce mardi 14 janvier 2025, le juge Dème a rappelé que la justice doit rester indépendante et impartiale, même lorsqu’elle traite des affaires d’envergure impliquant des personnalités politiques de premier plan. Selon lui, l’urgence de rendre des comptes et de récupérer les deniers publics ne doit pas entraîner la justice à faillir à ses obligations fondamentales. Il a précisé que l’obligation de redevabilité doit s’inscrire dans le cadre d’une justice équitable, capable de garantir un procès impartial et conforme aux règles de l’État de droit.
L’ancien magistrat, spécialisé en droit pénal et en lutte contre la corruption, a exprimé ses préoccupations concernant les procédures en cours au niveau du Pool judiciaire financier. Il estime que cette structure, créée pour corriger les dérives de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), semble aujourd’hui suivre le même chemin d’une justice politisée. Selon lui, les enjeux liés à la gestion de cette affaire peuvent déboucher sur une dérive si les procédures judiciaires sont influencées par des considérations politiques.
Dimanche 12 janvier, le parquet financier a annoncé l’ouverture d’une information judiciaire sous plusieurs chefs d’inculpation, notamment l’association de malfaiteurs, le blanchiment de capitaux, l’escroquerie portant sur les deniers publics, la corruption, le trafic d’influence et l’abus de biens sociaux. Cette annonce fait suite à un rapport élaboré par la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), qui a révélé des irrégularités financières impliquant plusieurs entreprises et personnalités politiques.
Parmi les figures citées dans le rapport figure le nom de Farba Ngom, un ancien proche de l’ex-président Macky Sall. Face à ces révélations, le ministre de la Justice a officiellement saisi l’Assemblée nationale pour demander la levée de l’immunité parlementaire du député Farba Ngom. La requête devrait être présentée aux membres du bureau du Parlement ce mardi 14 janvier, lors d’une séance prévue à 16 heures. Cette procédure, si elle aboutit, pourrait permettre aux autorités judiciaires d’entendre le député et de poursuivre les enquêtes sur les accusations portées contre lui.
L’affaire des 125 milliards F CFA, qui fait l’objet d’une grande attention médiatique, est perçue par certains observateurs comme un test majeur pour la justice sénégalaise. Le traitement de ce dossier pourrait révéler si les institutions judiciaires sont en mesure de traiter des affaires sensibles de manière impartiale, sans céder à des pressions politiques.
Pour Ibrahima Hamidou Dème, il est essentiel que le Pool judiciaire financier travaille en toute indépendance afin d’éviter toute forme de manipulation politique. Dans sa publication, il rappelle que la crédibilité de la justice repose sur sa capacité à garantir des procès équitables, loin des ingérences extérieures. Il met en garde contre le risque de voir les procès judiciaires se transformer en outils de règlement de comptes politiques, au détriment de la véritable lutte contre la corruption et la mauvaise gouvernance.
Le magistrat, qui avait démissionné de la magistrature pour dénoncer les dérives du système judiciaire sénégalais, reste une voix influente dans le débat public sur l’indépendance de la justice. Son intervention récente s’inscrit dans une série de prises de position visant à rappeler que la justice doit demeurer le dernier rempart contre les abus de pouvoir et les violations des droits des citoyens.
L’ouverture de cette information judiciaire marque un tournant dans la lutte contre la corruption au Sénégal. Toutefois, elle soulève aussi des questions sur les limites de l’immunité parlementaire et le rôle des institutions judiciaires dans la régulation de la vie publique. Le traitement de cette affaire devra se faire dans la transparence afin d’éviter que cette affaire ne soit perçue comme une chasse aux sorcières visant des figures de l’ancien régime. Une gestion impartiale sera essentielle pour restaurer la confiance des citoyens dans le système judiciaire et garantir que la lutte contre la corruption ne soit pas dévoyée par des intérêts politiques.
Dans les prochains jours, l’attention se portera sur les décisions de l’Assemblée nationale concernant la levée de l’immunité parlementaire de Farba Ngom. La manière dont cette affaire sera gérée par les autorités judiciaires et les responsables politiques constituera un indicateur crucial de l’état de l’État de droit au Sénégal. La vigilance des citoyens, des organisations de la société civile et des observateurs internationaux sera essentielle pour veiller à ce que les procédures soient menées de manière transparente et conforme aux normes internationales en matière de justice et de droits humains.