Invité au Global Solutions Summit 2025 à Berlin, l’ancien président sénégalais Macky Sall, aujourd’hui président du Conseil de surveillance du Centre mondial pour l’adaptation, a livré une allocution forte sur “L’Afrique dans le multilatéralisme contemporain”. Il y a souligné les défis majeurs du continent, entre paix, sécurité, développement économique et transition énergétique, appelant à une réforme en profondeur de la gouvernance mondiale.
Voici son discours…,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Je voudrais d’abord remercier notre ami Christian Kastrop pour son aimable invitation et pour l’accueil convivial qui m’a été réservé.
Je félicite Global Solutions pour l’organisation de ce Sommet. Dans un monde en proie aux tensions et aux incertitudes, il est à la fois opportun et salutaire de créer des espaces de dialogue pour penser ensemble les chemins possibles de sortie de crise.
Face aux urgences, le cours de l’histoire est à nouveau trouble. Le système multilatéral, né dans les décombres de la guerre pour promouvoir la paix, le progrès partagé et la solidarité entre les nations, montre aujourd’hui ses limites. Il peine à offrir des réponses concertées aux défis contemporains.
En effet, les instances multilatérales semblent figées alors que les conflits, anciens et nouveaux, persistent, les uns plus désastreux que les autres ; les menaces terroristes restent entières ; le réchauffement climatique s’accentue malgré les COP qui se succèdent ; et une guerre commerciale majeure vient s’ajouter à une crise économique et financière dont le monde peinait déjà à se relever.
Dans ce contexte de crises et de mutations profondes, l’Afrique continue de faire face à plusieurs challenges. Je me limiterai ici à quatre défis majeurs.
Premier défi : la paix, la sécurité et la stabilité.
En plus des situations conflictuelles persistantes, le terrorisme tend à devenir endémique sur le continent, en particulier au Sahel. Il faut dire que depuis des années, l’Afrique n’a de cesse d’alerter sur le fait que les opérations de maintien de la paix classiques ne sont pas adaptées à la lutte antiterroriste, faute de mandats et de moyens adéquats. En témoigne la fin précipitée de certaines opérations dans la colère et l’incompréhension.
C’est pourquoi nous avons toujours plaidé pour des mandats plus robustes et des moyens mieux calibrés, pour combattre le terrorisme dans le cadre de l’Architecture africaine de paix et de sécurité, avec le soutien logistique et financier des Nations Unies et des pays partenaires.
C’est à ce prix que nous pourrons vaincre le terrorisme, ou tout au moins réduire de façon significative ses moyens d’action.
Il y va de notre intérêt commun, car la persistance du terrorisme en Afrique constitue une menace globale qui relève de la responsabilité du Conseil de sécurité, garant du système de sécurité collective.
Deuxième défi : le développement économique.
Avec ses 30 millions de km², son poids démographique et ses ressources minières, hydriques, énergétiques et foncières (60% des terres arables non exploitées de la planète), l’Afrique dispose du potentiel nécessaire pour soutenir ses efforts de développement et contribuer à la croissance mondiale.
Cela requiert certes des politiques publiques avisées, mais aussi un ordre économique mondial plus juste et plus équitable.
La dynamique du développement est freinée quand l’impôt n’est pas payé là où la richesse est créée, à cause de congés fiscaux abusifs ; et quand les notations des agences d’évaluation sont biaisées par leurs critères et leurs méthodologies de plus en plus contestées. En Afrique, la perception du risque d’investissement est souvent supérieure au risque réel, ce qui renchérit le coût du crédit, à cause de primes d’assurances particulièrement élevées.
Mon point de vue est qu’il est temps de refonder la coopération internationale sur des paradigmes réinventés, notamment :
la réforme de la fiscalité internationale et des méthodes de notation des agences d’évaluation ; et l’assouplissement des règles de l’OCDE afin de faciliter l’accès des pays en développement au crédit export, à des conditions de maturité plus longues et des taux d’intérêt soutenables.
A mon sens, l’Afrique d’aujourd’hui a besoin plus de règles justes et de partenariats équitables que d’une aide publique au développement aux ressources limitées et aux mécanismes peu efficaces. À titre d’exemple, rien que pour les infrastructures, la Banque africaine de Développement estime les besoins de l’Afrique entre 130 et 170 milliards de dollars par an.
Certes, il faut saluer et reconnaitre à leur juste valeur les efforts et les acquis réalisés dans le cadre des partenariats traditionnels.
En même temps, l’Afrique continuera de s’ouvrir à de nouveaux partenariats, sans exclusivité ni exclusion, pour diversifier ses perspectives de croissance et de développement économique et social.
C’est tout cela, ajouté à la mise en place progressive de la Zone de libre-échange continentale africaine, qui contribuera à instaurer une nouvelle doctrine de coopération fondée sur une éthique de valeurs partagées, de solutions concertées, et d’intérêts mutuellement bénéfiques, sans conditionnalités idéologiques ou socio culturelles.
Troisième défi : la transition énergétique dans le contexte du réchauffement climatique. Suivant le principe de responsabilité commune mais différenciée, l’Afrique est pleinement engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique.
Partout sur le continent, des projets sobres en carbone et résilients au réchauffement climatique voient le jour.
Mais le continent qui pollue le moins ne peut être contraint de choisir entre développement et protection de l’environnement, ou de s’endetter pour financer seul les coûts de l’adaptation.
Il est donc urgent de mobiliser les ressources financières nécessaires à l’action climatique, notamment dans le cadre des Partenariats pour une transition énergétique juste.
En outre, pour l’équité et la justice, il faut éviter des décisions unilatérales comme celle de la COP 26 à Glasgow interdisant le financement à l’étranger de sources d’énergie fossiles, même peu polluantes comme le gaz, alors que certains pays industrialisés continuent d’utiliser des énergies bien plus polluantes comme le charbon.
Je rappelle que l’Union africaine, la Banque africaine de développement et le Centre mondial pour l’adaptation ont lancé en 2021 le Programme d’accélération de l’adaptation en Afrique (AAAP).
Cette ambitieuse initiative vise à mobiliser 25 milliards de dollars pour renforcer la résilience climatique de l’Afrique dans domaines clés, notamment : l’agriculture, les infrastructures, la jeunesse et l’entrepreneuriat, ainsi que la finance et la gouvernance.
En ma qualité de Président du Conseil de surveillance du Centre mondial pour l’adaptation, je lance un appel aux partenaires bilatéraux et multilatéraux pour soutenir la deuxième phase de l’initiative AAAP sur la période 2026-2030.
Quatrième défi, enfin, la réforme de la gouvernance mondiale.
L’idéal à la base du multilatéralisme, c’est de promouvoir entre des pays aux forces inégales des relations de collaboration confiante, solidaire et inclusive.
Dans cet esprit, il est juste de reconnaitre les services que le système des Nations Unies et celui de Bretton Woods ont rendus aux Etats membres.
Mais 80 ans après sa création, le multilatéralisme de l’après-guerre est en passe de devenir obsolète, car il ne répond pas aux réalités et aux besoins de son temps. Pour plus des trois quarts des pays membres, il y a là une source d’inégalités qui alimente des frustrations et la contestation du système.
L’élargissement progressif des BRICS en Sud global apparait comme un symptôme illustrant le malaise d’un système qui court le risque de sa fragmentation s’il n’est pas réformé.
Il n’est pas souhaitable d’en arriver là. Alors, la sagesse commande de refonder la gouvernance politique, économique et financière mondiale, pour la rendre plus représentative de la diversité du monde d’aujourd’hui.
Le G20 a montré la voie en admettant l’Union africaine comme membre de plein droit, à l’initiative du Sénégal durant sa présidence de l’Union africaine.
L’octroi d’un troisième siège à l’Afrique au Conseil d’administration du FMI va également dans le bon sens de l’histoire.
Il est important que d’autres instances, comme le Conseil de sécurité et la Banque mondiale suivent ces exemples, afin d’aider à l’avènement d’un multilatéralisme plus inclusif, plus légitime et plus efficace.
Mesdames, Messieurs, chers amis,
Dans un monde secoué par tant de turbulences, nous ne devons pas renoncer à l’espérance. Non pas une espérance incantatoire, mais une espérance travaillée ; une espérance agissante, nourrie par le courage du dialogue, la force de la coopération et la foi dans notre humanité commune.
À l’heure des défis globaux, seul un nouveau sursaut lucide et humaniste nous permettra de ressouder les fractures, apaiser les colères et les tensions, et favoriser une collaboration solidaire, fondée sur nos valeurs communes et le respect de nos différences.
Je vous remercie de votre aimable attention!
Pour rappel, Créé en 2017, Global Solutions Initiative (GSI) est un réseau international de think tanks de chercheurs, décideurs politiques et leaders de la société civile visant à proposer des solutions politiques concrètes aux grands défis mondiaux, en particulier dans les domaines du climat, de la transformation numérique, de la gouvernance mondiale et du développement durable. • Activités principales : • Organisation du Global Solutions Summit, un forum annuel réunissant des experts internationaux.
• Publication de notes d’analyses
à destination des décideurs du G20 et du G7. • Animation de communautés telles que les Young Global Changers et le Council for Global Problem-Solving.
GSI siège à Berlin, Allemagne.
Le think tank est dirigé par Christian Kastrop, économiste de nationalité allemande, ancien secrétaire d’État pour la société numérique et la politique
consommateurs au ministère fédéral allemand de la Justice et de la Protection des consommateurs.

