Le Nigeria, premier producteur de pétrole brut du continent, importe pour le moment la quasi-totalité de son carburant. Mais la réhabilitation de quatre raffineries publiques ainsi que la mise en service du méga-projet du milliardaire Aliko Dangote à Lagos, pourraient totalement changer la donne.
Au Nigeria, six millions de barils de pétrole brut ont été livrés ces dernières semaines au port de Lekki afin d’alimenter les premières opérations de la méga-raffinerie du groupe Dangote. Il s’agit d’une étape essentielle, plus de six mois après l’inauguration officielle de ce projet titanesque, chiffré à 20 milliards de dollars – et dont la livraison a pris énormément de retard.
Dans un communiqué, le groupe Dangote a annoncé « le début de la production » de gazole et de fuel pour le secteur aérien. Mais il faudra encore attendre avant que la production de carburant ne débute. « Disons que c’est la première fois qu’ils mettent de l’huile dans le système et qu’ils font passer du produit brut dans les rouages. Il s’agit surtout de tester les équipements un par un pour vérifier s’ils marchent », confie un bon connaisseur du secteur pétrolier nigérian.
Les spécialistes évoquent tous la complexité technique de la mise en service de la plus grande raffinerie à train unique du monde, dont le fonctionnement nécessite un approvisionnement en pétrole brut conséquent et soutenu. « Ils ne vont pas pouvoir tenir plus de quelques semaines avec cette première livraison. Sauf qu’une machinerie pareille dépense énormément d’énergie et coûte une fortune à faire tourner, poursuit la même source à Lagos. Si elle est de nouveau mise à l’arrêt à après la phase de test, il faudra encore des mois pour redémarrer la production ».
Le défi de l’approvisionnement
La question de l’approvisionnement en pétrole brut est centrale pour assurer la continuité de la production de produit raffiné. La compagnie pétrolière nationale du Nigeria, la NNPC, qui est actionnaire du projet à 20%, s’était engagée à fournir quelque 300 000 barils de brut par jours, mais cela sera bien insuffisant pour porter la production à son maximum de 650 000 barils par jour. « Pour atteindre cette capacité de production, il faudra s’assurer que 20 à 30 cargos de brut soient livrés très régulièrement à Lekki, insiste Charles Thiémélé, directeur Afrique de BGN. C’est un défi technique, d’autant qu’il faut d’importantes capacités de stockage pour que la raffinerie tourne sans interruption ».
À terme, il est donc probable que la raffinerie de Dangote doive s’approvisionner à l’extérieur du Nigeria. « Il y a toujours du brut disponible sur le marché, du moment que vous avez les moyens de l’acheter », assure ce trader, qui se dit également confiant quant aux débouchés commerciaux pour le pétrole raffiné qui sortira de l’usine de Lekki.
Néanmoins, il est peu probable que le carburant produit à Lagos soit distribué exclusivement sur le marché nigérian. En tant qu’entreprise commerciale, le groupe Dangote devrait se tourner d’abord vers l’acheteur le plus offrant. « Même s’il choisit de vendre dans la sous-région, l’impact du projet sera sans doute bénéfique pour le Naira [la monnaie nationale, dont la valeur n’a cessé de dégringoler ces derniers mois, NDLR] », remarque cependant le bon connaisseur du secteur pétrolier nigérian.
La réhabilitation des raffineries publiques
Au-delà du projet privé porté par le milliardaire Aliko Dangote, le Nigeria compte aussi sur la réhabilitation de ses raffineries publiques pour assurer son approvisionnement en essence dans les prochaines années : 1,5 milliard de dollars ont été alloués en 2021 pour la rénovation de la raffinerie de Port Harcourt, réalisée par l’entreprise italienne Maire Tecnimont. Celle-ci sera bientôt prête à débuter ses opérations après une première phase de test. Les raffineries de Kaduna et de Warri, de plus petite taille, bénéficient quant à elles d’un « quick-fix », une réparation rapide visant à relancer la production sans investissement massifs.
La NNPC a d’ores et déjà indiqué qu’elle confierait la gestion de la raffinerie de Port Harcourt à des opérateurs privés afin de « garantir la sécurité énergétique » du Nigeria. « La durabilité de ces réparations dépendra vraiment du niveau d’investissement alloué à la maintenance de ces trois raffineries, pointe Mickael Vogel, directeur de recherche pour le cabinet Hawilti, à Lagos. À savoir qu’elles représentent ensemble plus de 400 000 barils par jour – de quoi combler la demande locale. Leur fonctionnement optimal est donc dans l’intérêt du Nigeria, même si cela va prendre des mois ».
L’enjeu n’en est pas moins crucial. « Si le Nigeria arrive à rénover ses raffineries publiques – ce qui devrait être fait à l’horizon 2024 – 2025 – et que l’usine privée de Dangote produit autant que prévu, le pays deviendra le plus grand raffineur d’Afrique, devant l’Algérie, devant l’Égypte, devant l’Afrique du Sud, développe l’analyste. Cela devrait notamment permettre au Nigeria d’économiser ses réserves de dollars, pour les dépenser ailleurs que dans l’achat d’essence. Avec la perspective de restabiliser les finances de la plus grande économie d’Afrique ».