Sénégal-Alliance des États du Sahel : le défi de la Cédéao

Dans un communiqué diffusé ce mardi soir 6 février, la Cédéao dit « suivre avec préoccupation l’évolution de la situation au Sénégal » et « déconseille toute action ou déclaration » pouvant aller « à l’encontre » de la Constitution et « encourage » la classe politique à « rétablir le calendrier électoral ». Elle prendra « toutes les mesures nécessaires pour accompagner » le Sénégal et « maintenir » sa « tradition démocratique ». C’est effectivement LE nouveau défi sur lequel la Cédéao joue peut-être sa survie. Alors que Macky Sall a annoncé et obtenu le report de l’élection présidentielle qui devait se tenir dans trois semaines, ses opposants dénoncent la « dérive autoritaire » du président sénégalais. Ce report survient après que les régimes putschistes du Mali, du Niger et du Burkina, ont annoncé leur retrait de la Cédéao qui, justement, exige d’eux l’organisation d’élections. Si les situations ne sont pas les mêmes, le moment pose en tout cas un défi de taille à l’organisation régionale. 

S’agit-il de sauver la crédibilité d’un processus électoral fragilisé ? Ou d’un stratagème pour se maintenir au pouvoir ? Le président sénégalais Macky Sall a en tout cas repoussé l’élection présidentielle et prolongé son propre mandat. Le dernier pays ouest-africain à avoir pris une telle décision, c’est le Mali du colonel Assimi Goïta, dont la présidentielle était -hasard du calendrier- également prévue ce mois de février.

Macky Sall est arrivé au pouvoir par les urnes lors d’élections démocratiques et non à la faveur d’un double coup d’État militaire, il a réitéré son engagement à ne pas briguer de nouveau mandat et un camp politique opposé au sien a lui-même demandé le report du scrutin. Au Mali, enfin, aucune nouvelle date n’a été annoncée depuis l’annonce du report il y a quatre mois et demi.

Qu’importe, l’aubaine est trop belle pour les tenants du « néo-panafricanisme » qui exultent et classent désormais Macky Sall dans la catégorie des « putschistes ». Sur les réseaux sociaux circulent des montages du président sénégalais affublé d’un treillis militaire, ou du sobriquet de « Mackyavel ».

L’opposition sénégalaise dénonce la « dérive autoritaire » du chef de l’État au moment où les régimes militaires des pays de l’Alliance des États du Sahel claquent la porte de la Cédéao, qui les pressait justement d’organiser des élections pour rétablir l’ordre constitutionnel.

Cette simple concordance des temps pose un défi à toute la sous-région et la Cédéao, régulièrement accusée de faire « deux poids deux mesures », joue peut-être sa survie sur ses décisions à venir.

Dès lundi, sur le Sénégal, la Commission de la Cédéao faisait part de « sa préoccupation quant aux circonstances qui ont conduit au report » et appelait à « l’organisation d’une élection transparente, inclusive et crédible. » Le président bissau-guinéen, qui présidait la Cédéao jusqu’à l’été dernier, n’a pas eu le même réflexe : Umaro Sissoco Embaló a immédiatement « félicité » Macky Sall pour sa « sage décision », « dans le but d’aller vers de futures élections plus inclusives. » 

« La problématique pour la Cédéao, c’est que ceux qui détiennent le pouvoir respectent des limites »

Baba Dakono, chercheur à l’Observatoire citoyen sur la gouvernance et la sécurité (OCGS) à Bamako

RFI : Après le report de la présidentielle sénégalaise, que type de réaction peut-on attendre de la Cédéao ?

Baba Dakono : C’est très difficile. Je pense que cette annonce de report, qui a été suivie d’un vote par l’Assemblée nationale sénégalaise, a pris de nombreux acteurs au dépourvu. Y compris la Cédéao, qui était déjà dans la tourmente du fait de la situation politique dans la région, avec l’annonce du retrait du Mali, du Burkina et du Niger, en plus du coup d’État en Guinée… La Cédéao était déjà en proie à de nombreuses difficultés dans la gestion de ces crises. Avec la crise politique sénégalaise, il y a une croissance des difficultés et ça va être très difficile pour la Cédéao de gérer cette situation, d’autant plus que c’est intervenu dans un cadre constitutionnel, avec un président qui était élu démocratiquement. 

La Cédéao pourrait-elle décider de sanctions contre le Sénégal, comme elle l’a fait avec le Mali ou actuellement avec le Niger ? 

C’est ce qui est attendu de la part de nombreux acteurs africains, qui ont toujours dénoncé le fait que la Cédéao n’intervenait pas quand il y avait des mandats présidentiels qui allaient au-delà du mandat initialement prévu par la Constitution. On a vu des chefs d’État qui ont modifié la Constitution pour faire des troisièmes mandats. C’était une situation dénoncée par les acteurs africains qui estimaient qu’il y avait des sanctions en cas de coup d’État militaires, mais que ces situations considérées comme des « coups d’État institutionnels » n’étaient pas sanctionnées par la Cédéao. Aujourd’hui, l’organisation est peut-être placée face à son destin dans un contexte d’attente des populations ouest-africaines de sanctions ou ne serait-ce que de condamnation de ces agissements qui vont à l’encontre, du point de vue de ces populations-là, de la consolidation de la démocratie. 

Ceux qui désignent Macky Sall comme un « putschiste institutionnel », ceux qui le mettent dans la même catégorie que les militaires au pouvoir au Mali, au Niger ou au Burkina, ont-ils raison ?

Pas forcément, parce que dans ces pays de l’Alliance des États du Sahel (AES), ce sont des coups d’État militaires, ce sont des régimes en transition. Pour le cas sénégalais, c’est une crise, on va dire, de la démocratie, une crise politique qui perdure. Ce report du scrutin présidentiel constitue un épisode de cette crise politique-là. 

En tout cas, la Cédéao joue gros sur la manière dont elle va gérer ces différents cas, qui lui tombent dessus en même temps… 

Aujourd’hui, la problématique sur le continent, c’est : comment faire en sorte que ceux qui détiennent le pouvoir, que ça soit par des faits d’armes ou à travers des élections, puissent respecter un certain nombre de limites. Et parmi ces limites justement, que la fin d’un mandat prévu soit la fin du pouvoir. 

rfi

L’Alliance des Etats du Sahel, pari sécuritaire et acte de défiance diplomatique

Les militaires au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont fait alliance pour combattre ensemble le jihadisme et opposer un front politique commun aux adversaires de leur entreprise proclamée de restauration de souveraineté, avec des perspectives incertaines.

Si leur faculté à gagner par eux-mêmes la guerre qui ensanglante le Sahel reste à démontrer, l’issue d’un récent sommet ouest africain semble montrer que le bloc Bamako-Ouagadougou-Niamey tient le coup sous la pression diplomatique.

Ces trois pays ont vu accéder par la force à leur tête des officiers jurant de reprendre en main un destin national abandonné selon eux aux étrangers, au premier rang desquels les Français, et leurs « valets » locaux. Ils ont chassé les soldats et les ambassadeurs français, se sont tournés vers de nouveaux partenaires, dont les Russes, et remis en cause un ordre défendu par la Communauté des Etats ouest-africains (Cedeao).

Inquiète d’une contagion devant la succession des putschs, la Cedeao leur a imposé des sanctions pour obtenir le retour des civils aux commandes, et menacé de recourir à la force après le dernier en date, au Niger.

Les militaires ont serré les rangs et scellé leur solidarité le 16 septembre en créant l’Alliance des Etats du Sahel, dont la charte engage les trois pays à combattre « le terrorisme » et les lie par un « devoir d’assistance et de secours » face à toute agression.

L’Alliance fait d’abord la promesse d’une coopération accrue entre les forces de ces trois pays, qui totalisent près de 100.000 hommes. Peut-elle vaincre là où d’autres partenariats ont échoué?

« On a souvent dit par le passé qu’il fallait que la volonté politique (de combattre le jihadisme) vienne des Etats les plus affectés. Avec l’AES, c’est indéniablement le cas aujourd’hui », dit Jean-Hervé Jézéquel, directeur du Projet Sahel de l’organisation de résolution des conflits Crisis Group.

La question est cependant posée de la capacité d’Etats parmi les plus pauvres du monde à supporter le coût de la guerre.

– Un immense espace –
« On ne peut pas s’offrir le luxe d’une guerre de longue durée au Sahel », estime le politicien malien Babarou Bocoum.

« Aucun de ces trois pays ne dispose de ports, de capacité de création de richesse suffisante », s’inquiète-t-il.

Le Niger a annoncé en octobre une réduction de 40% du budget national, après la suspension des soutiens budgétaires européens et américains dans un contexte de tensions diplomatiques.

La Russie est proche de s’imposer comme l’alliée privilégiée des pays de l’Alliance, mais les analystes s’interrogent sur l’étendue du soutien qu’elle peut fournir.

L’Alliance est d’abord sécuritaire et escamote toute approche politique de l’insécurité. Le numéro un burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, décrivait dimanche le « terrorisme » comme une « manifestation violente de l’impérialisme ».

Elle a vocation à être étendue au développement économique et les officiels envisagent de faire « de nos espaces un seul espace (où) aller et venir, commercer, défendre », disait le capitaine Traoré.

Certains voient d’un mauvais oeil l’apparition de cette entité, avec des dirigeants installés par le fait accompli, mais bénéficiant d’un soutien populaire large parmi les quelques 70 millions d’habitants de cet immense espace.

– Rhétorique et pragmatisme –
Omar Alieu Touray, haut responsable de la Cedeao, relevait avec irritation dimanche que ces régimes « usent de rhétorique anti-coloniale et de propagande et présentent leurs agissements comme un mouvement de libération » pour « obtenir le soutien à leur projet d’aventuriers ».

Pour l’instant, leur cohésion paie. L’embargo infligé par la Cedeao se fait durement sentir au Niger. Mais le régime n’a quasiment rien cédé. « Le peuple nigérien, bénéficiant du soutien des pays frères et amis (…) est resté debout », a assuré le numéro un nigérien, le général Abdourahamane Tiani.

Amadou Bounty Diallo, analyste et ancien militaire nigérien, nuance le bellicisme sahélien: « Cette démarche (l’Alliance) n’est pas un renoncement à l’appartenance à la communauté internationale, elle a pour but d’affirmer la souveraineté ».

« Ces trois pays sont partis du constat que tant qu’ils ne prennent pas en main la gestion de leurs ressources, il est quasiment impossible de sortir de la pauvreté », estime-t-il.

M. Jézéquel soulève les limites de l’exercice. Les économies de ces Etats sont « peu complémentaires, avec des atouts et des faiblesses semblables. Elles sont surtout complémentaires des économies des pays côtiers avec lesquelles les liens sont forts mais menacés par les brouilles ».

La rhétorique souverainiste mobilise la population autour d’un projet, dit-il. Mais elle ne « répond pas aux besoins en services de base. Ces Etats-là vont se heurter à cette réalité à un moment ou l’autre ».

L’isolement est difficilement tenable sur la durée, dit le sociologue malien Bréma Ely Dicko. « Il y a les discours destinés aux foules et le pragmatisme », dit-il. Ces pays devraient finir par tenir des élections et alors, « certains partenaires vont revenir ».

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