L’acquisition par l’État sénégalais de cinq avions L410-NG pour Air Sénégal a suscité beaucoup d’espoirs, mais également de nombreuses interrogations quant à leur immobilisation actuelle. Cette opération, inscrite dans une stratégie nationale de redressement de la compagnie aérienne, visait à réduire les pertes abyssales enregistrées par Air Sénégal et à rendre le transport aérien plus accessible. Pourtant, malgré leur potentiel, ces appareils ne décollent toujours pas.
En 2022, Air Sénégal faisait face à une situation financière alarmante avec des pertes mensuelles dépassant les 6 milliards de francs CFA, malgré un taux de remplissage des vols supérieur à 70 %. Le déficit était particulièrement important sur les lignes internationales comme New York, Barcelone ou Milan, qui accusaient un trou de plus de 2 milliards de francs CFA par mois. À l’échelle nationale, la desserte de zones comme Cap Skirring générait elle aussi des pertes considérables. Face à cette situation, l’État a décidé d’acquérir huit avions L410-NG, en deux phases, afin de diminuer les coûts d’exploitation et ainsi rendre les vols plus abordables, notamment sur les lignes domestiques.
Ces avions sont nettement moins coûteux à exploiter que les ATR72-600 utilisés jusqu’alors. Avec un coût horaire estimé à 1 000 dollars contre 6 000 dollars pour les ATR, l’arrivée des L410-NG devait permettre de réduire les prix des billets, passant de 65 000 à environ 40 000 francs CFA, une baisse significative pour encourager l’accès au transport aérien. Contrairement à certaines accusations d’opacité, le processus d’acquisition s’est déroulé avec transparence et rigueur. Plusieurs missions, regroupant des représentants de l’ANACIM, d’Air Sénégal, de l’Armée de l’air et des ministères, se sont rendues à Prague entre août 2023 et février 2024 pour superviser les négociations, vérifier les appareils et valider les modalités techniques. Le financement a été organisé sous forme d’un crédit export tchèque sur 12 ans, évitant ainsi que la compagnie n’engage des fonds propres ou n’alourdisse sa dette.
Malgré ces conditions favorables, l’immobilisation actuelle de deux avions livrés n’est pas due à un problème technique ou stratégique, mais à un retard majeur dans la formation des personnels. Bien que le constructeur OMNIPOL ait proposé plusieurs sessions de formation entre mars et décembre 2024, aucun pilote, mécanicien ou ingénieur sénégalais n’a encore été envoyé à Prague pour se former à l’utilisation et à la maintenance de ces nouveaux appareils. Ce manquement a bloqué la mise en service des L410-NG, empêchant leur exploitation à ce jour. Il est particulièrement regrettable que cette situation touche un appareil fiable, recommandé par l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et déjà utilisé avec succès dans plusieurs pays africains comme l’Algérie, le Niger ou la République démocratique du Congo.
Cette situation soulève une interrogation fondamentale sur la vision à long terme d’Air Sénégal. La compagnie doit-elle rester une institution prestigieuse mais financièrement déficitaire, réservée à une clientèle aisée, ou se transformer en un outil de désenclavement national accessible au plus grand nombre ? Les avions L410-NG, par leur performance économique et leur adaptation aux infrastructures sénégalaises, représentent une opportunité majeure pour concilier service public et viabilité financière. Pour que cette opportunité soit pleinement exploitée, une meilleure coordination entre les acteurs et une gestion proactive des ressources humaines et techniques sont désormais indispensables.