Quatre ans après le génocide des Tutsi en 1994, l’écrivain sénégalais Boubacar Boris Diop publiait « Murambi, le livre des ossements », un récit poignard sur la tragédie rwandaise qui dévoile la complicité de la France et exhume les souvenirs d’une nation meurtrie.
Ce roman émergea de l’odeur persistante des corps qui, des années après le massacre, continuait à hanter le Rwanda. En 1998, lors d’une résidence d’écrivains dans ce pays, Diop, initialement réticent à évoquer le génocide, fut absorbé par le récit des survivants. La réalité de l’horreur, jusqu’alors insaisissable, le frappa de plein fouet. « Chaque jour, on a tué 10 000 personnes, pendant 100 jours », se remémore-t-il, confronté à sa propre ignorance et impuissance.
Dans « Murambi, le livre des ossements », les personnages, tant victimes que bourreaux, se croisent dans un ballet macabre avant, pendant et après le génocide. Le roman dénonce la complicité de la France, représentée par un officier français, dans ce massacre inimaginable. Pour Diop, François Mitterrand et son gouvernement ont soutenu activement les génocidaires, un choix qui aurait pu être contredit par un simple coup de téléphone de l’Élysée. En 2021, l’aveu de responsabilité de la France par Emmanuel Macron lors de sa visite à Kigali a confirmé les accusations portées par Diop depuis des années.
Né au Sénégal sous la colonisation française, Boubacar Boris Diop a grandi dans un environnement francophile, où la langue française et les idéaux humanistes faisaient partie intégrante de sa formation. Mais le génocide rwandais fut un tournant dans sa vie, le forçant à réévaluer son rapport à la France et à l’impérialisme occidental. À travers son œuvre, il dénonce les crimes commis au nom de la Françafrique et appelle à une remise en question profonde des relations entre la France et l’Afrique.
Après le Rwanda, Diop s’est tourné vers l’écriture en wolof, la langue principale du Sénégal, et a fondé une maison d’édition pour promouvoir la littérature africaine dans les langues locales. Pour lui, l’art est un moyen de guérison et de résistance, capable de redonner du sens à des tragédies indicibles. Son œuvre, saluée par la lauréate du prix Nobel de littérature Toni Morrison comme un « miracle », résonne comme un appel à la mémoire et à la justice pour les victimes du génocide rwandais, mais aussi comme un avertissement contre l’oubli et la complicité.