Une vague de suspensions touche plusieurs médias sénégalais, sommés de cesser toute diffusion par arrêté du ministère de la Communication. Invoquant une non-conformité au Code de la presse, les autorités ont enclenché une procédure contestée par de nombreux patrons de presse, qui dénoncent une mesure arbitraire, anticonstitutionnelle et dangereuse pour la liberté d’informer.
De nombreux patrons de presse sont actuellement convoqués à la Division de la Surveillance du Territoire (DST), où il leur a été signifié une cessation immédiate de parution. Cette décision découle de l’arrêté n°011059/MCTN, signé le 22 avril 2025 par le ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, qui ordonne la suspension sans délai de la diffusion, de la publication et du partage de contenus en provenance de médias jugés non conformes aux dispositions du Code de la presse.
Dans un procès-verbal émis par la DST, un organe de presse a donc reçu, ce vendredi 25 avril, une notification officielle émanant du Commissaire de Police Divisionnaire, Directeur de la Surveillance du Territoire, lui intimant de cesser immédiatement toute activité de parution. À défaut de s’y conformer, des sanctions sont prévues, notamment celles énoncées aux articles 194, 195 et 200 du Code de la presse.
Parmi les patron de presse convoqués figure Aïssatou Diop Fall. Journaliste chevronnée avec vingt-cinq années d’expérience, elle a été sommée de fermer sa chaîne YouTube, Publicsn, avant d’être convoquée à la DST. Elle dénonce une décision arbitraire : « Ils ont déclaré la guerre à la presse. Qu’il en soit ainsi ! La notification de cessation de diffusion que j’ai reçue est illégale et anticonstitutionnelle. En outre, elle est en déphasage avec le Code de la presse qu’ils ont brandi. Le ministère a sorti une liste de médias qu’il considère “conformes” et elle ne peut être définitive du fait que des médias qui leur appartiennent continuent à voir le jour après cette publication. D’ailleurs, avant la publication de cette liste, je m’étais inscrite sur leur site. Mais, mon organe avait été éjecté des organes qu’ils ont reconnus sans qu’ils ne me donnent les raisons. C’est dernièrement, lors du ramadan, qu’ils m’ont envoyé un e-mail pour que je complète les documents fournis, ce que j’ai fait. Depuis lors, je n’ai pas reçu de nouveau courriel. Alors, jusqu’à présent je suis conforme. »
Cette vague de suspensions et de convocations a immédiatement suscité une vive indignation dans le paysage médiatique. Le journaliste Mamoudou Ibra Kane s’interroge : « Dans quel pays sommes-nous pour qu’un ministre pense pouvoir décider des “médias conformes” et des “médias non conformes”, et donc, avoir un pouvoir de vie et de mort sur l’écrit, l’image, la parole, tous les contenus médiatiques ?! Où est la justice ? Où est le régulateur ? Liy raam ci ñak bi la jëm – ceci est un précédent dangereux, en français. Il est temps de sonner la résistance face à l’oppression, la persécution et la négation en cours des droits et libertés au #Sénégal. Cette dérive interpelle tous les citoyens qui doivent la combattre par tout moyen qu’autorise la loi. »
L’administrateur du « Quotidien », Madiambal Diagne, quant à lui, fustige une démocratie en recul : « C’est une honte dans une démocratie que de fermer des médias. Si on peut autoriser des chaînes YouTube qui ont montré au public comment fabriquer des cocktails molotov, on devrait franchement laisser d’autres, qui n’ont pas commis une telle hérésie, de continuer d’opérer. Triste. »
El Hadji Cheikh Kane, administrateur du « Groupe Le Dakarois », ne mâche pas ses mots : « le droit d’informer ne s’achète pas, ne se quémande pas. Il s’exerce. Aujourd’hui, au Sénégal, 381 médias se retrouvent exclus de la reconnaissance officielle de l’État. 639 médias ont été déclarés. Seuls 258 sont “validés”. Cela pose une question simple, mais fondamentale : qui décide de qui a le droit de parler ? Et sur quels critères ? Quand un ministre tente de faire passer un arrêté pour une loi, ce n’est plus de la régulation, c’est de la censure. Quand des médias sont traités comme des menaces, simplement parce qu’ils sont critiques, ce n’est plus de la gouvernance, c’est de l’intimidation. »
Il rappelle que ce droit est garanti par la Constitution : « Le droit d’informer, de débattre, de critiquer — c’est le socle d’une démocratie vivante. Et ce droit est inscrit noir sur blanc dans l’article 11 de notre Constitution. Aucun arrêté, aucun communiqué, aucune menace ne peut l’annuler. Aujourd’hui, je tiens à exprimer ma solidarité totale avec tous les journalistes, techniciens, chroniqueurs, directeurs de publication, cameramen, animateurs, qui continuent de faire leur travail avec courage malgré les pressions. Il est temps de dire non. Il est temps de faire bloc. Il est temps de rappeler à ceux qui nous gouvernent que la presse n’est pas un privilège, c’est une responsabilité, un droit, une mission. »
Pour mémoire, le ministère de la Communication avait publié, le jeudi 6 février 2025, une liste officielle des médias en règle avec le Code de la presse. Sur les 639 médias déclarés, seuls 258 ont été reconnus comme conformes aux normes réglementaires en vigueur, contre 381 jugés non conformes, selon les déclarations de Habibou Dia, directeur de l’information. Une situation qui continue d’alimenter une profonde crise de confiance entre les autorités et les acteurs du secteur médiatique, sur fond de menaces à la liberté d’expression.
La Dakaroise