L’Afrique du Sud a saisi en urgence la plus haute juridiction des Nations unies pour qu’elle enjoigne à Israël de « suspendre immédiatement ses opérations militaires » dans la bande de Gaza. Une requête qui s’explique notamment par des motivations historiques – le parti au pouvoir soutenant depuis longtemps la cause palestinienne, associée à la lutte contre l’apartheid – et de politique intérieure, à quelques mois des prochaines élections.
Des motivations historiques et politiques. En affrontant Israël, qu’il accuse d' »actes génocidaires » à Gaza devant la plus haute juridiction de l’ONU jeudi 11 janvier, le pouvoir sud-africain espère sortir grandi sur la scène internationale et gagner en popularité chez lui avant des élections à risque pour son parti.
Dans une requête de 84 pages adressée à la Cour internationale de justice (CIJ) qui siège à La Haye, l’Afrique du Sud exhorte les juges à ordonner d’urgence à Israël de « suspendre immédiatement ses opérations militaires » dans la bande de Gaza.
Pretoria estime qu’Israël « s’est livré, se livre et risque de continuer à se livrer à des actes de génocide contre le peuple palestinien à Gaza ». Des propos qu’Israël a qualifié de « diffamation sanglante absurde ».
Pour défendre cette première affaire portée par le pays devant la CIJ, Pretoria envoie une « équipe d’élite » d’avocats, a souligné Cathleen Powell, professeure de droit international à l’université du Cap.
Parmi eux, John Dugard, associé au cabinet d’avocats international Doughty Street Chambers, auquel appartient notamment Amal Clooney. Me Dugard a été rapporteur spécial des Nations unies sur les droits humains dans les Territoires palestiniens.
Y figure aussi Tembeka Ngcukaitobi, qui a notamment travaillé sur l’affaire qui a conduit l’ancien président Jacob Zuma en prison.
Une délégation menée par le ministre de la Justice, Ronald Lamola, se rend aussi à La Haye pour soutenir l’initiative.
Une « question de principe »
La requête de Pretoria est motivée par des raisons historiques et politiques, selon les observateurs.
Le parti au pouvoir (ANC, Congrès national africain) soutient depuis longtemps la cause palestinienne, qu’il a associée à la lutte contre l’apartheid. Nelson Mandela avait ainsi affirmé que la liberté de l’Afrique du Sud serait « incomplète sans la liberté des Palestiniens ».
Le président Cyril Ramaphosa a déclaré cette semaine que Nelson Mandela avait inspiré l’action devant la justice internationale. Il a évoqué une « question de principe » : « Le peuple palestinien est bombardé, tué (…). Nous avions le devoir de nous lever et soutenir les Palestiniens. »
Les motivations de Pretoria sont aussi domestiques, selon les analystes. Pour la première fois de son histoire, l’ANC risque de perdre sa majorité parlementaire lors des prochaines élections prévues entre mai et août, dans un contexte socio-économique morose.
L’ANC voit dans ce recours « une base pour retrouver une primauté perdue ces 30 dernières années avec une gouvernance abandonnant peu à peu ses principes », explique Sara Gon, du groupe de réflexion Institute of Race Relations.
L’Afrique du Sud accueille la plus grande communauté juive d’Afrique subsaharienne. Mais le pays compte une population musulmane largement plus importante, dont une partie pourrait voir le recours contre Israël d’un bon œil.
L’Afrique du Sud pourrait aussi gagner du terrain sur la scène internationale avec sa démarche, estime Sara Gon.
Membre des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), Pretoria considère ce groupe comme un contrepoids à l’ordre mondial dominé par les États-Unis et l’Europe. Et Pretoria a activement soutenu l’élargissement du bloc, notamment à l’Iran, grand rival d’Israël.
Israël a juré de « détruire » le Hamas après son attaque d’une ampleur sans précédent sur le sol israélien le 7 octobre qui a fait environ 1 140 morts, essentiellement des civils, selon un décompte de l’AFP à partir de données officielles israéliennes.
Depuis, les bombardements israéliens ont réduit de grandes parties de la bande de Gaza à l’état de ruines, et ont fait plus de 23 000 morts, majoritairement des femmes et des mineurs, selon le ministère de la Santé du Hamas.
Les quelque 2,4 millions d’habitants de la bande de Gaza, dont environ 1,9 million ont dû fuir leur foyer selon l’ONU, continuent d’être confrontés à une situation humanitaire désastreuse.
Les décision de la CIJ sont sans appel et juridiquement contraignantes mais elle n’a aucun pouvoir pour les faire appliquer.
Avec AFP