Le marché sénégalais, envahi par des vêtements vintages, des articles de marque de seconde main et divers accessoires usagés, pourrait bientôt connaître une profonde transformation. Lundi dernier, lors de l’atelier Champions for Jobs à Dakar, le ministre de l’Industrie et du Commerce, Dr Serigne Guèye Diop, a annoncé une mesure qui risque de bouleverser l’économie informelle : l’interdiction prochaine de la friperie.
Cette décision, justifiée par la volonté de promouvoir le consommé local et de protéger les industries nationales, touche un secteur en pleine expansion au Sénégal. Le commerce des vêtements de seconde main, communément appelé « Fëgg diaye », emploie des milliers de jeunes Sénégalais et constitue une source de revenus essentielle pour de nombreuses familles.
Selon des données rapportées par Le Monde, les États-Unis, premier exportateur mondial de vêtements usagés vers l’Afrique, envoient chaque année plus de 756 000 tonnes de fripes sur le continent. La France, quant à elle, se classe neuvième avec 69 000 tonnes exportées. Ces chiffres montrent l’ampleur d’un marché en constante expansion, particulièrement prisé dans les pays en développement où les vêtements de seconde main sont plus abordables.
Au Sénégal, les vêtements de friperie sont omniprésents, des marchés locaux aux grandes artères de Dakar, et répondent à une demande importante pour des produits de qualité à moindre coût. Cependant, pour le ministre Serigne Guèye Diop, cette dynamique freine le développement des industries textiles locales, un secteur stratégique pour l’économie nationale.
En plus de l’interdiction de la friperie, le ministre a annoncé des mesures visant à limiter l’exportation de matières premières textiles. Cette directive, portée par le président de la République, Bassirou Diomaye Faye, s’inscrit dans une stratégie de valorisation du « Made in Sénégal ». L’objectif est de favoriser la transformation locale des matières premières et d’encourager la création d’emplois dans le secteur textile.
« Nous devons protéger nos industries locales et créer des opportunités pour nos jeunes. L’importation massive de vêtements usagés compromet non seulement la survie des entreprises nationales mais freine également notre ambition de souveraineté économique », a déclaré le ministre.
L’interdiction de la friperie risque toutefois d’avoir des répercussions importantes sur l’économie informelle sénégalaise. Des milliers de jeunes, qui trouvent leur subsistance dans ce commerce, pourraient se retrouver sans emploi si des alternatives viables ne sont pas mises en place.
Pour éviter des effets négatifs sur les populations les plus vulnérables, le gouvernement devra accompagner cette transition par des politiques de soutien, telles que la formation professionnelle, l’accès aux financements pour les entrepreneurs locaux, et la création de chaînes de production textile compétitives.
Si cette annonce s’inscrit dans une logique de développement industriel et de promotion du consommé local, elle suscite également des interrogations. Les consommateurs, majoritairement issus de classes populaires, auront-ils les moyens de se tourner vers des vêtements neufs produits localement ? Les industriels sénégalais auront-ils la capacité de répondre à la demande en termes de qualité et de prix compétitifs ?
Dans l’attente des décrets d’application, la suppression de la friperie s’annonce comme un défi majeur, à la fois pour le gouvernement, les acteurs économiques et les citoyens.
Le Sénégal semble ainsi à un tournant de son histoire économique, entre le désir d’autonomisation industrielle et la nécessité de préserver des équilibres sociaux délicats.