L’idée d’une justice transitionnelle pour traiter les événements politiques qui ont secoué le Sénégal de 2021 à mars 2024 suscite une vive controverse. Portée par Alioune Tine, fondateur d’Afrikajom Center, cette proposition vise à mettre en place une Commission vérité, justice et réconciliation. L’objectif ? Favoriser une réflexion collective et un dialogue ouvert sur les événements récents, afin d’encourager le pardon et la réconciliation nationale.
C’est lors de son passage dans l’émission Objection de Sudfm qu’Alioune Tine a exposé son idée. Selon lui, il est essentiel que les Sénégalais puissent comprendre ce qui s’est réellement passé et engager un processus de pacification durable.
Cependant, cette initiative rencontre une forte opposition, notamment parmi les défenseurs des droits humains. Dans un entretien avec Sud Quotidien, Seydi Gassama d’Amnesty International, Alassane Seck de la Ligue sénégalaise des droits de l’homme et Babacar Ba du Forum du justiciable ont exprimé des réserves, voire un rejet catégorique.
Seydi Gassama rejette fermement l’idée d’une justice transitionnelle dans ce contexte. Pour lui, le Sénégal n’a pas connu de guerre civile ni de violations systématiques des droits humains justifiant un tel processus. Il plaide plutôt pour l’abrogation de la loi d’amnistie récemment adoptée et insiste sur la nécessité de poursuivre les enquêtes judiciaires pour que justice soit rendue aux victimes.
Dans la même veine, Alassane Seck estime que les crimes et exactions survenus ces dernières années ne doivent pas être passés sous silence. Il rappelle l’engagement du Sénégal envers les statuts de Rome et la Cour pénale internationale (CPI), soulignant que le pays ne peut se permettre d’ignorer ces événements sans compromettre son respect des normes internationales en matière de justice.
À mi-chemin entre ces deux positions, Babacar Ba du Forum du justiciable se montre ouvert à la proposition d’Alioune Tine, mais sous conditions. Pour lui, une commission de réconciliation ne peut intervenir qu’après que la justice ait établi les responsabilités. Il estime que la réconciliation nationale ne peut être effective sans un travail préalable d’établissement des faits et de sanctions éventuelles.
La proposition d’Alioune Tine soulève ainsi une question de fond : faut-il privilégier la réconciliation immédiate au détriment de la justice, ou garantir d’abord la vérité et la responsabilité avant d’engager un dialogue entre les parties ?
Ce débat reflète les tensions persistantes au sein de la société sénégalaise après trois années de crise politique. Tandis que certains prônent l’apaisement par le dialogue, d’autres rappellent que l’impunité ne saurait être une option.