La conférence des supérieurs majeurs du Sénégal a organisé du 16 au 18 décembre 2024 à Dakar, son assemblée générale sous le thème: « Pélerins d’espérance sur le chemin Synodal ». Une occasion pour la communauté chrétienne de consacrer le dernier jour de son Assemblée générale à son hôte, le Khalife général de Bambilor, Thierno Amadou Ba avec qui, elle entretient une relation fondée sur la confiance mutuelle et l’esprit de collaboration. Cette invitation du Khalife à l’AG de la Conférence des supérieurs majeurs du Sénégal a été une opportunité pour lui de partager avec l’assistance quelques réflexions sur les trois enjeux cruciaux du moment : le vivre ensemble, la diplomatie religieuse et la contribution des religieux et religieuses à la résolution des conflits et au drame de l’immigration.
« Le vivre ensemble est au cœur de notre identité nationale. Au Sénégal, nous avons une véritable culture de la coexistence pacifique, non seulement entre religions, mais aussi entre les différentes ethnies et communautés. L’exemple de la coexistence pacifique entre les communautés musulmanes et chrétiennes est largement reconnu. Mais au-delà de cette dimension religieuse, il existe aussi une fraternité profondément enracinée entre les différentes ethnies, qui, tout en préservant leurs spécificités culturelles, vivent ensemble dans une harmonie remarquable.
Entre les communautés Peul, Sérère et Diola, par exemple, il existe une pratique de plaisanteries réciproques et d’ironie qui, loin d’être un facteur de division, devient un puissant ciment de la cohésion sociale. Ce cousinage à plaisanterie est une forme de relation interethnique basée sur une complicité ludique où chacun peut se moquer de l’autre sans animosité, créant ainsi une relation de confiance et d’amitié », a dit Thierno Amadou Ba avant d’ajouter: « pour le vivre ensemble, Bambilor fait bien école dans cette aube du troisième millenaire. À travers nos échanges, nous construisons ensemble un modèle vivant du vivre ensemble, une alliance où nos différences ne sont pas des barrières, mais des atouts précieux pour la construction d’une société plus unie. C’est grâce à ces rencontres, riches en échanges et en compréhension, que nous avançons ensemble, main dans la main, pour bâtir un avenir commun empreint de fraternité ». Ces moments d’échange et de partage ont aussi permis au guide religieux d’entretenir sur l’origine religieuse de la migration qui est selon lui, non seulement symbolique et spirituelle mais, dépasse les simples déplacements géographiques.
La diplomatie religieuse un outil pour la paix et la réconciliation
Selon Thierno Amadou Ba, la diplomatie religieuse est un instrument fondamental pour la résolution des conflits dans le monde. Les religions, souvent sources de tensions, peuvent aussi devenir des vecteurs de paix si elles sont orientées dans une dynamique de dialogue et de compréhension mutuelle. « En tant que leaders religieux, nous avons la responsabilité de promouvoir la paix, la réconciliation et la justice à travers un dialogue interreligieux sincère et constructif. Nos enseignements respectifs portent en eux des valeurs universelles de paix, de solidarité et de respect de la dignité humaine, et il est de notre devoir d’utiliser ces principes pour apaiser les conflits et éviter que la religion ne devienne un facteur de division.
A mon humble avis, la diplomatie religieuse, en mode contributoire pour la diplomatie traditionnelle, implique l’engagement et la médiation des acteurs religieux dans les affaires nationales et internationales », a indiqué M. Ba soulignant la diplomatie religieuse reconnaît l’impact significatif des croyances et des pratiques religieuses sur les dynamiques mondiales et cherche à les intégrer dans les processus diplomatiques. « Cette forme de diplomatie vise à promouvoir le dialogue interreligieux, à prévenir les conflits fondés sur la religion et à trouver des solutions pacifiques aux crises en s’appuyant sur les valeurs et les ressources des différentes traditions religieuses. Elle joue un rôle crucial dans la construction de la paix et le développement durable, en mettant l’accent sur la collaboration entre États, organisations internationales et institutions religieuses a-t-il ajouté.
Car pour lui, la diplomatie religieuse ne se limite pas à des discours théoriques, mais il se traduit par des actions concrètes. Elle consiste en des initiatives qui favorisent la rencontre entre les cultures et les croyances.
« Permettez-moi cette piqure de rappel pour partager avec vous trois expériences historique de la diplomatie religieuse pour vous montrer ce qu’elle à réussi, à l’assaut de la diplomatie classique par moment impuissante
L’Hégire : la protection des minorités religieuses :
L’Hégire, la migration des compagnons du Prophète Muhammad (PSL) de La Mecque vers l’Abyssinie, représente un tournant crucial dans l’histoire de l’Islam, non seulement sur le plan spirituel, mais aussi en matière de protection des minorités religieuses. Lorsqu’une partie des premiers musulmans fut persécutée à La Mecque, le Prophète Muhammad (Psl), dans un acte de sagesse, conseilla à ses compagnons de se réfugier en Abyssinie, auprès du Négus, un souverain chrétien. Ce dernier leur offrit une protection totale, leur garantissant la liberté de pratiquer leur foi sans crainte de persécution. Cette invitation à chercher refuge dans un royaume chrétien symbolise une forme de diplomatie religieuse, où l’État, représenté par le Négus, assurait la sécurité des croyants, et où les leaders spirituels (le Prophète et les prêtres) reconnaissaient l’importance de la coexistence pacifique et du respect mutuel entre religions. El-Hadji
Malick Sy et Cheikh Ibrahima Fall : des sacrifices ultimes
Dans un contexte colonial comme celui du Sénégal, les autorités coloniales françaises ont dû gérer les rapports entre les différentes religions (chrétiens, musulmans, animistes) et ont parfois eu recours à des figures religieuses locales pour apaiser les tensions.
Les actes d’El Hadj Malick Sy et de Cheikh Ibrahima Fall montrent une forme de diplomatie religieuse qui transcende les simples négociations politiques. En envoyant leurs fils à la France comme otages, ces leaders ont offert un sacrifice personnel profond pour garantir la sécurité et la protection de leurs disciples. Ce geste témoigne de l’engagement de ces figures religieuses à éviter les conflits violents, à préserver l’équilibre entre les communautés et à négocier avec les puissances coloniales dans le but de garantir un minimum de paix sociale.
La contribution des religieux et à la résolution des crises migratoires
Le dernier sujet abordé par le Khalife de Bambilor est les crises migratoires. Selon le conférencier, qu’elles soient liées à des conflits, à des conditions économiques désastreuses ou à des catastrophes environnementales, sont des phénomènes globaux qui exigent des réponses variées et nuancées. « L’une des approches les plus puissantes pour répondre à ces crises reste l’engagement des leaders religieux, qui ont un rôle clé à jouer non seulement en termes de soutien moral et spirituel, mais aussi dans la construction de solutions durables. Leur action s’inscrit dans une vision globale de l’humanité, reposant sur des principes de résilience, de dignité humaine et de coopération intercommunautaire ».
Thierno Amadou de poursuivre: « l’origine religieuse de la Migration : l’Arche de Noé.
Dans de nombreuses traditions religieuses, la migration a une origine symbolique et spirituelle qui dépasse les simples déplacements géographiques. L’histoire de l’arche de Noé, par exemple, présente la migration comme un acte de préservation de la vie face à la destruction. Après le déluge, Noé et les êtres vivants (humains et animaux) ont été sauvés, permettant ainsi la renaissance de la terre. Cet acte de migration (même si elle était forcée) a permis de créer un nouveau monde, tant pour l’humanité que pour les autres formes de vie », a-t-il ajouté.
« La migration, dans ce sens, porte en elle une dimension de reconstruction et de renouvellement. Elle symbolise un processus de transformation où des individus et des communautés, souvent dans des situations de détresse, peuvent être les vecteurs de nouveaux commencements et de nouvelles opportunités. De cette perspective, les migrations ont des conséquences positives, tant pour ceux qui migrent que pour les sociétés qui les accueillent. Cette vision religieuse invite à voir les migrants non comme des « problèmes », mais comme des « portes ouvertes » vers de nouvelles possibilités de développement humain et spirituel », a expliqué le Khalife de Bambilor, relevant que
l’un des grands problèmes qui se pose dans le cadre des migrations, en particulier en provenance des pays du Sud vers l’Occident, est que ces dernières sont souvent perçues uniquement sous un angle utilitaire, focalisé sur les avantages économiques qu’elles peuvent apporter.
Selon lui, l’Occident a largement profité des vagues migratoires à travers l’histoire, souvent en en tirant des bénéfices économiques et sociaux tout en imposant des souffrances profondes aux pays du Sud. Au cours des siècles, les européens se sont déplacés massivement vers les Amériques, colonisant ces terres et exploitant leurs ressources au prix de la destruction des civilisations autochtones. Parallèlement, l’Occident a orchestré des déplacements forcés d’africains pour alimenter la traite des esclaves, une entreprise inhumaine qui a déporté des millions d’individus à travers l’Atlantique. D’après le chef religieux, les deux guerres mondiales ont également vu des déplacements massifs, tant de populations que de ressources, pour nourrir les besoins militaires, souvent à travers des colonnes de tirailleurs africains et des ouvriers migrants. Ces déplacements, qu’ils soient forcés ou volontaires, ont permis à l’Occident de se développer et d’accumuler une richesse colossale. « Pourtant, paradoxalement, les pays du Sud, dont les peuples ont été dévastés par ces migrations imposées, font aujourd’hui face à des réactions souvent ingrates et xénophobes de la part de ceux-là même qui ont tiré profit de ces flux migratoires. L’Occident semble parfois ignorer les blessures historiques qu’il a infligées et continue de fermer les yeux sur les réalités humaines des migrations contemporaines, contribuant ainsi à la marginalisation des peuples du Sud qui cherchent à fuir la pauvreté, les conflits et les injustices historiques », a-t-il déploré au moment où la communauté internationale célèbre la journée internationale des migrants, ce 18 décembre.
Selon l’hôte du jour de la Conférence des supérieurs majeurs du Sénégal, la résilience, dans cette optique, consiste à transformer la douleur et la souffrance en forces nouvelles, à reconstruire les communautés dévastées tout en protégeant les dignités humaines. « Les leaders religieux doivent insister sur le fait que la véritable réponse aux crises, qu’elles soient migratoires ou autres, réside dans la capacité des sociétés à se reconstruire avec dignité, à travers l’écoute, la sensibilisation, et des actions concrètes. Les actions menées par les religieux doivent également être orientées vers la protection des migrants, notamment en leur fournissant un soutien moral et matériel dans leur parcours. Mais au-delà du soutien immédiat, une approche préventive et intégrative est nécessaire, qui consiste à renforcer les liens entre les communautés d’accueil et celles d’origine.
C’est pourquoi, l’une des initiatives les plus significatives que j’ai entreprises est la création d’une ONG dédiée à la gestion des crises migratoires. Depuis 20 ans, cette organisation travaille sans relâche pour soutenir les migrants, en particulier ceux vivant dans les cités ou en situation de vulnérabilité.
Un autre aspect de cette initiative est la mise en place de jumelages entre des maires d’Europe et du Sénégal. Ces échanges ont pour but de favoriser la coopération internationale en matière de développement et d’intégration des migrants. En organisant des voyages en Europe et en Amérique, j’ai pu renforcer ces liens et sensibiliser les autorités locales à la nécessité d’une approche plus humaine et inclusive de la migration.
Enfin, permettez-moi d’évoquer ma rencontre récente avec le Saint-Pere qui a été un moment fort, un échange significatif, qui m’a inspiré davantage à poursuivre ma vision pour le la paix et le dialogue interreligieux au profit d’un monde meilleur. Lors de notre prochaine rencontre, qui devrait avoir lieu très bientôt, je serai accompagné d’universitaires et de représentants de toutes les confessions religieuses du Sénégal. L’objectif est de montrer que le Sénégal est, et doit continuer à être, un véritable centre d’incubation de la diplomatie religieuse. Une diplomatie qui, à travers ses valeurs d’unité et de tolérance, pourrait inspirer le monde entier.
Lors de cette rencontre, nous aurons l’occasion d’échanger sur le colloque international sur la diplomatie religieuse (CIDIR), prévu à l’Ucad. Ce colloque, en collaboration avec notre ONG FWN et l’Institut des Politiques Publiques, représente pour moi bien plus qu’un simple événement académique. Il est une vitrine essentielle pour le Sénégal, un rendez-vous international et une véritable école d’expérimentation pour de nouvelles solutions aux défis mondiaux. Je suis convaincu que ce colloque pourrait jouer un rôle clé dans le rayonnement du Sénégal en tant que modèle de dialogue interreligieux et de diplomatie constructive », a conclu Thierno en magnifiant l’initiative de cette rencontre de la Conférence des supérieurs majeurs, qui représente une occasion unique de renforcer les liens entre les communautés musulmanes et chrétiennes et de mettre en avant le rôle essentiel de la diplomatie religieuse dans la résolution des crises mondiales.
A.Saleh