Exploration et Exploitation des hydrocarbures au Sénégal
La recherche pétrolière au Sénégal a débuté bien plus longtemps que les Sénégalais ne le l’imaginent. C’est en 1996 que le premier puits onshore de Gadiaga2 a été foré par Pétrosen à proximité du village éponyme situé dans le bloc de Thiès pour y découvrir du gaz naturel.
N’eût été l’histoire de l’incendie qui a duré plus d’un mois en 2021, beaucoup de sénégalais ne seraient jamais informés de l’exploitation de puits de gaz à Gadiaga dont les réserves étaient estimées à 387 millions de mètres cubes (cf Pétrole et Gaz au Sénégal d’Ousmane Sonko).
C’est Pétrosen la société sénégalaise équivalente de la toute puissante Sonatrach d’Algérie qui a découvert le gaz naturel avant que le Sénégal ne signe avec Fortesa un contrat de partage de production et la poursuite de l’exploration par décret 2004 – 851 du 5 juillet 2004 moyennant 70% pour Fortesa et 30% pour le Sénégal.
Selon les rapports de l’ITE Fortesa a produit environ 217 millions de mètres cube ( m3 ) entre 2009 et 2014. (ibidem)
Nous reviendrons sur le potentiel gazier du Sénégal et son utilisation en anticipant sur les enjeux géostratégiques liés à l’énergie.
La découverte du gaz au Sénégal à cette époque des années 1996 à 2000 devrait impulser sans délai la création d’un Institut Sénégalais du Gaz et du Pétrole qui nous aurait permis dans les années 2000 de former et préparer nos jeunes aux métiers du gaz et du pétrole à l’image de l’Institut Algérien du Pétrole et l’Institut National des Hydrocarbures, lesquels instituts ont formé in situ les jeunes Algériens aux nouvelles technologies d’exploration, d’exploitation et de transformations des hydrocarbures . Cette démarche a permis à l’Algérie de rester maître et propriétaire de ses ressources dans la recherche et l’exploitation des hydrocarbures.
Par contre, le Sénégal sous Macky Sall a commis l’erreur stratégique de signer dans l’euphorie des contrats de recherche et d’exploitation de nos blocs, qu’il sera difficile de renégocier.
Des blocs gaziers ont été signés sous Wade et Macky Sall et les réserves de gaz estimées pour le Sénégal s’élèvent à 1 000 Milliards de mètres cube de gaz selon le Directeur de Pétrosen Production / Exploitation Mr Thierno Seydou Ly.
S’agissant du pétrole, les derniers contrats de production et de partage signés l’ont été en 2017 et 2018 avec Total moyennant 10% pour le Sénégal et 90 % pour Total.
La renégociation des contrats sera plus facile à dire qu’à faire. Mais on verra ce que l’avenir nous réserve.
Par ailleurs, il est urgent pour le Sénégal de connaître et maîtriser la capacité de ses réserves en pétrole et gaz, de faire le point sur les blocs de gaz et pétrole distribués et ceux encore libres, mais aussi les zones d’exploration encore possibles.
Analyse Critique Politique Energétique du Président Diomaye
Dans ce contexte, quid du programme Energie du Président Diomaye ?
Le programme Energie de Diomaye dans le livre Projet est divisé en deux parties : hydrocarbures et électricité.
Autant la partie Hydrocarbures présente une excellente vision, autant celle relative à l’Electricité présente des insuffisances et des incohérences qu’il sied de marquer.
– Sur la partie Hydrocarbures, il convient de noter l’excellente vision de renforcer la société Pétrosen (à l’image de Sonatrach en Algérie), la création d’une deuxième raffinerie à Foundiougne aux conséquences insoupçonnées dans la création d’emplois et l’impact positif sur notre économie.
Il nous plaît de signaler par exemple qu’un des aspects extrêmement positifs de la seconde Raffinerie de Foundiougne réside dans la production suffisante et très bon marché de Kérosène pour Air Sénégal qui pourrait voir sa lourde charge d’exploitation Kérosène le placer parmi les firmes les plus compétitives au monde et profiter de sa situation géostratégique à l’image des puissantes compagnies dans les pays petro dollar ( Emirates, Etihad, Qatar Airway) qui ont le même un dénominateur commun : un coût très compétitif du Kérosène.
– Sur la partie Electricité, par contre, grande a été ma surprise de voir dans le programme des objectifs, pour le moins très modestes, de capacité électrique de 3 000 Mégawatts ( Mw ) d’ici 2030 et 4 000 Mégawatts d’ici 2040 avec une part des énergies renouvelables de 40% à atteindre. Il faut rappeler que le Sénégal présente une capacité globale de 1 600 Mégawatts en 2023. Selon Charles Gave, « L’économie est de l’énergie transformée ». Autrement dit, lorsque l’énergie est utilisée efficacement, elle se transforme en valeur économique. Dès lors, vouloir faire du Sénégal un pays agricole et industriel requiert beaucoup d’énergie à produire. Ce sont justement les ministères en charge de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’industrie et même des transports qui devront définir leurs programmes, feuilles de route et plans d’action opérationnels pour un Sénégal agricole et majoritairement industriel; et si les besoins de ces ministères dépassent les 3 000 ou 4 000 Mégawatts cela risque à coup sûr de brider notre élan de développement avec une part d’énergie renouvelable de 40% que nous estimons représenter une menace sur nos terres cultivables au profit de centrales solaires au sol gourmands en surface que nous développerons dans le paragraphe « Quelle part d’Energie Renouvelable au Sénégal ? ».
S’agissant de l’usage de notre gaz, il convient de noter un point de vigilance : le Sénégal est actuellement courtisé par tous les pays occidentaux initialement dépendants du gaz russe et impactés par la nouvelle situation géopolitique du monde. Rappelons que les réserves annoncées par le DG de Pétrosen sont de 1 000 milliards de mètres cube . Qu’il nous soit permis de procéder à des simulations chiffrées pour comprendre la meilleure stratégie pour le Sénégal en matière d’exploitation de gaz. Par exemple, les seuls besoins annuels de la France, du reste très liée au Sénégal du fait d’un passé historique, sont de 50 milliards de mètres cube de gaz par .an. Si le Sénégal vendait la totalité de son gaz à la France, la totalité de nos 1000 milliards de mètres cube seraient épuisés en 20 ans !!!. Ces observations, du reste insolites, soutiennent l’hypothèse du danger que courrait le Sénégal s’il lui arrivait de vendre notre gaz en brut, même en proportion.
Qu’il nous soit encore permis de formuler une recommandation forte sur l’usage de notre gaz pour faire du Sénégal un pays émergent, souverain et prospère :
Il convient d’abord de noter, pour votre information, qu’un coefficient de conversion utilisé pour transformer le gaz en électricité est en moyenne de 1 mètre cube ( m3 ) pour 10 Kilowatts heure ( Kwh ) d’électricité. De même, la consommation actuelle d’électricité du Sénégal s’élève à 4 Térawatts heure ( Twh ) selon une capacité électrique installée de 1 600 Mégawatts. Avec nos réserves actuelles, si le Sénégal se projette et décide de multiplier sa capacité par 10 c’est-à-dire de disposer de 16 000 Mégawatts, cette option le placerait à coup sûr parmi les pays industriels ( loin des
4 000 Mégawatts annoncés pour 2040 dans le livre programme de Diomaye président). La production annuelle serait alors mécaniquement estimée à 40 Térawatts heure.
A titre illustratif, en utilisant seulement 50% de nos réserves pour les transformer en électricité (Gaz To Power), 500 milliards de mètres cube produisent 5 000 Térawatts heure (en utilisant le coefficient de conversion mètre cube gaz en électricité). 5 000 Térawatts heure sur une production annuelle de 40 Térawatts heure ( avec une capacité électrique multipliée par 10) représente 125 ans d’exploitation de 50% de notre gaz actuel !!!….. Les 50% restants pourraient servir à nos besoins domestiques et à financer nos investissements en plaçant le Sénégal dans une orbite de puissance sous régionale et hub électrique.
Ceci illustre en substance le choix stratégique à mettre en place pour anticiper sur le devenir du Sénégal, futur producteur de gaz.
Néanmoins, pour arriver à un modèle de développement « endogénéisé », il faudrait des orientations stratégiques souveraines en matière de gouvernance des hydrocarbures et s’éloigner des pratiques jusqu’ici marquées par une nette préférence pour les contrats de service avec un recours permanent au procédé du contrat de recherche et de partage de production (CRPP). Inutile d’aller benchmarker des modèles de gestion venus de Norvège ou autre, il faut miser sur une société nationale forte en développant la formation et en mettant en place une politique de réappropriation des richesses nationales.
Quelle part d’Energie Renouvelable au Sénégal ?
S’agissant de l’objectif de 40% de part de renouvelable à atteindre, il est urgent de rappeler au nouveau régime le danger de cet objectif pour le Sénégal qui est un pays plus ensoleillé que venteux.
Mis à part le potentiel hydroélectrique des fleuves que nous partageons avec nos voisins, viser une capacité de 40 % nous placerait parmi les pays qui vont développer le solaire boulimique en surface et qui peut, à l’évidence, poser des problèmes fonciers encore plus ardus pour un pays aussi peu étendu comme le Sénégal. Pour votre information, moins de 1000 hectares ( ha ) répartis aux abords des points de production gazière sont suffisants pour produire 16 000 Mégawatts contre au moins 32 000 hectares à sacrifier pour développer des centrales électriques solaires au sol sans compter les problèmes d’intermittence que génèrent les centrales d’énergie renouvelable sans stockage. Le solaire reste la solution idéale pour le rural complètement off Grid dont les besoins énergétiques restent relativement faibles, les résidences urbaines pour baisser les factures d’électricité, pareil pour les sièges sociaux des entreprises, ainsi que son usage dans le pompage pour l’agriculture. Le solaire s’arrête là. Dès lors, il nous faut hic et nunc un mix énergétique à dominante fossile pour nous extirper enfin et définitivement de notre pauvreté économique conséquence de notre pauvreté énergétique. Autrement dit, notre taux de mix énergétique avec la part d’énergie renouvelable ne doit pas nous être imposé mais réfléchi et établi par des Sénégalais en fonction de notre trajectoire de développement. A titre d’exemple, les USA malgré leur potentiel solaire et éolien sont à moins de 5% d’utilisation de ces énergies renouvelables dans leur réseau. Pourquoi vouloir figurer comme bon élève sur des recommandations pour le moins captieuses des nations riches?
JETP Sénégalais : des interrogations ?
Nous ne saurions terminer ce chapitre énergie solaire sans évoquer le fumeux JETP (Just Energy Transition Partnership*) dont le Sénégal vient de bénéficier d’un important financement. Le JETP est un partenariat établi entre le G7 et les pays pollueurs dont le dénominateur commun est la dépendance au charbon.
Contrairement aux JETP déjà convenus avec l’Afrique du Sud, l’Indonésie et le Vietnam qui dépendent principalement du charbon pour leur approvisionnement énergétique, notre pays est le seul qui se démarque du critère d’éligibilité par rapport aux autres. Le Sénégal nouveau producteur de gaz, éligible au JETP ? Un tel choix, insolite de surcroît, suscite beaucoup de questions.
L’ancien régime a accepté de bénéficier de ce financement dont on est loin de connaître la forme (crédit ? subvention ? don?). Il ne faudrait surtout pas que le G7, par des subterfuges de contournement, veuille astreindre le Sénégal à l’utilisation prédominante voire exclusive des énergies propres pour s’accaparer de notre gaz en raison du nouveau contexte géopolitique lié à la crise Russo-Ukrainienne.
Efficacité Energétique
La dernière composante de l’énergie, et non des moindres, ne figurant pas dans le livre programme de Diomaye Président réside dans la non prise en compte de l’objectif de réduction de notre consommation d’énergie. Cette dimension occupe une place importante dans toutes les politiques énergétiques pour bien amorcer la transition.
Les pays occidentaux ont pris conscience des bonnes pratiques d’usage sobre de l’énergie depuis les chocs pétroliers des années 1973 et 1984. Ces pays les ont toujours intégrées dans leur politique énergétique et identifiées comme puissant levier de lutte contre les émissions de dioxyde de carbone ( CO2 ). Lors de la dernière COP28 de Dubaï, il avait été retenu de doubler les efforts d’efficacité énergétique d’ici 2030. La France, à l’image des pays occidentaux, elle aussi prise au piège par la guerre Russo-Ukrainienne, a réalisé en 2023 sur une réduction de 10% de sa consommation d’énergie ; chiffre de 10% d’économie qui représente plus de10 fois la consommation du Sénégal.
Autrement dit, l’intégration de l’efficacité énergétique et les bonnes pratiques d’usage de l’énergie permettent de mettre à l’arrêt volontaire des unités de production générant des économies d’énergie pour les Sociétés de production d’électricité dépendantes des énergies fossiles ou de redistribuer de l’énergie dans le réseau électrique sans production d’électricité supplémentaire en plus des impacts positifs sur la préservation de l’environnement. Au demeurant, il existe beaucoup de crédits disponibles pour accompagner les pays qui s’y lancent au même titre que ceux consacrés aux énergies propres comme le solaire.
(Just Energy Transition Partnership*) en français (Partenariat pour une Transition Energétique Juste)
Mbaye HADJ
Ingénieur en Génie Electrique, Manager en Ressources Energétiques
Ancien Etudiant en Algérie promo 1987 Setif , membre de l’AAESSA
Auteur du livre « Changement Climatique : La Lourde Menace sur l’Afrique »
Paru en 2023 aux Editions Elma <70>mbaye.ind@gmail.com