En Turquie, le président Recep Tayyip Erdogan espérait voir son parti remporter le scrutin à Istanbul et à Ankara. Mais les premiers résultats laissent entrevoir une large victoire de l’opposition, au-delà même des deux plus grandes villes turques.
L’opposition turque est en passe, dimanche 31 mars, de remporter une large victoire à travers le pays et de conserver Istanbul et Ankara, les deux plus grandes villes du pays. C’est exactement le scénario que Recep Tayyip Erdogan redoutait : non seulement les maires d’opposition à Istanbul et Ankara l’emportent une seconde fois face à un candidat du pouvoir – qui plus est, en s’emparant de la majorité au conseil municipal – mais ils augmentent leur score par rapport à 2019. Et ce, alors même que ces maires n’étaient soutenus que par leur parti, le CHP. Il y a cinq ans, ils avaient été élus grâce à une alliance de partis d’opposition.
Autrement dit : Recep Tayyip Erdogan a face à lui deux rivaux capables de rassembler les voix de l’opposition au sens large et dont la popularité rivalise avec la sienne. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne le maire d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, pour lequel un destin national pourrait s’être ouvert dimanche soir, à quatre ans de la prochaine présidentielle.
L’ambiance est donc joyeuse et résolument confiante ce dimanche soir au siège du CHP. De larges sourires sont visibles sur les visages des responsables du parti. Le maire d’opposition d’Istanbul, Ekrem Imamoglu, a annoncé sa réélection. « Nous sommes en première position avec une avance de plus d’un million de voix (…) Nous avons gagné l’élection », a-t-il déclaré devant la presse, précisant que ces résultats portaient sur 96% des urnes.
Au CHP, on est d’autant plus satisfait que la victoire est aussi assurée dans la capitale, Ankara. Le maire sortant d’opposition Mansur Yavas apparaît largement en avance pour remporter très confortablement un deuxième mandat. Il a d’ailleurs revendiqué sa victoire. « Les élections sont terminées, nous continuerons de servir Ankara et [ses] six millions d’habitants sans discrimination », a promis l’élu du parti social-démocrate.
« Les électeurs ont choisi de changer le visage de la Turquie » après 22 ans de domination du parti islamo-conservateur AKP, a estimé dimanche Ozgur Ozel, le chef du CHP au soir des élections municipales. « Ils ont voulu ouvrir la porte à un nouveau climat politique dans notre pays », a-t-il relevé.
« Il y a dix mois, on a perdu. C’est pour ça que tous les regards sont tournés vers Imamoglu. C’est le dernier espoir de l’opposition. S’il perd à Istanbul, l’opposition pourrait bien ne plus rien gagner pendant 50 ans.
Reportage dans un bureau de vote d’IstanbulAnne Andlauer
Silence dans le parti de Erdogan
Grand silence en revanche pour l’instant du côté de l’AKP, le parti pouvoir. Certaines de ses places fortes comme Bursa, la 4e plus grande ville turque, a rejoint dimanche Istanbul, Ankara et Izmir dans le camp de l’opposition. Balikesir, Denizli ou encore Afyonkarahisar pourraient passer à l’opposition. Si l’on regarde l’ensemble de la carte, c’est toute la région égéenne, les provinces intérieures et pas seulement les littoraux qui paraissent être en train de basculer du côté de l’opposition.
Du point de vue de Recep Tayyip Erdogan, les résultats sont bien une déception cuisante mais aussi une source d’inquiétude pour l’avenir de sa formation, l’AKP, dont les scores se dégradent d’une élection à l’autre.
Violences
Le scrutin a été marqué par des violences à travers le pays, faisant au moins trois morts. Dans le sud-est du pays, des affrontements ont eu lieu entre des personnes armées de pistolets, bâtons et pierres et ont fait un mort et 11 blessés. Dans un autre incident, un candidat a été tué et quatre autres personnes ont été blessées dans des affrontements, selon l’agence de presse d’État Anadolu.
À Sanliurfa (sud-est), 16 personnes ont été blessées, toujours selon Anadolu, un autre candidat a été poignardé dans l’ouest du pays et une personne a été abattue par balle et deux autres ont été blessées dans la nuit à Bursa (nord-ouest).
Le parti pro-kurde DEM, archi-favori dans nombre de localités de la région, dit avoir recensé des irrégularités « dans presque toutes les provinces kurdes ». Il a notamment dénoncé l’inscription suspecte, selon lui, de plusieurs dizaines de milliers de membres des forces de l’ordre sur les listes électorales des régions kurdes. Une délégation d’observateurs venue de France s’est même vue refuser l’accès à un bureau de vote de la région, selon l’association d’avocats MLSA.