Dans un arrêt qualifié de “tournant historique”, la Cour administrative d’appel de Paris a récemment annulé une décision du ministère des Armées et un jugement de première instance, ordonnant la rectification d’une erreur matérielle dans l’état signalétique et des services de M. D. A., tirailleur sénégalais mort lors des événements tragiques de Thiaroye en 1944. Une victoire symbolique mais puissante pour son fils, M. C. A., et pour la mémoire collective des anciens combattants africains.
L’affaire concerne une mention erronée dans les archives militaires : l’état signalétique indiquait que M. D. A. avait embarqué à Morlaix le 1er novembre 1944 à bord du navire Circassia, alors que les éléments historiques et administratifs attestent qu’il s’agissait du 4 novembre 1944. Une différence de trois jours, apparemment mineure, mais qui remet en question la fiabilité des documents officiels liés au parcours de ce soldat sénégalais engagé dans le 6ᵉ régiment d’artillerie coloniale.
Fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale, M. D. A. avait été libéré et rapatrié au Sénégal, où il trouva la mort le 1er décembre 1944 au camp militaire de Thiaroye. Ce jour-là, des dizaines de tirailleurs africains furent tués par l’armée française alors qu’ils réclamaient le paiement de leurs soldes. Ce massacre, longtemps occulté, est aujourd’hui au cœur de nombreuses revendications mémorielles.
En 2021, M. C. A., fils du tirailleur, avait saisi la ministre des Armées pour demander la rectification de cette erreur. Face à un refus implicite, puis explicite en décembre 2021, il porta l’affaire devant le tribunal administratif de Paris. Sa demande fut rejetée en 2023, au motif que le refus ministériel ne constituait pas un acte administratif susceptible de recours.
Mais la persévérance de M. A. a payé. En appel, la Cour administrative a reconnu que le refus de corriger un état signalétique entaché d’erreur constitue bel et bien un acte administratif faisant grief – donc susceptible d’un recours contentieux. La juridiction a en outre estimé que rien dans le Code du patrimoine n’empêchait la rectification d’une erreur matérielle dans ce type de document.
La Cour a donné trois mois au ministère des Armées pour corriger l’état signalétique de M. D. A., ordonnant que la date du 4 novembre 1944 soit rétablie. Elle a également condamné l’État à verser 1 500 euros à M. C. A. au titre des frais de justice.
Mais au-delà de l’aspect juridique, cette décision est riche de portée symbolique. Comme le souligne le journal Les Échos, elle s’inscrit dans une dynamique plus large de reconnaissance des souffrances et des injustices subies par les anciens combattants africains sous domination coloniale.
Plusieurs associations de mémoire ont salué l’arrêt de la Cour et envisagent de nouveaux recours pour corriger d’autres erreurs dans les archives militaires françaises. Cette décision pourrait ainsi faire école, ouvrant une voie nouvelle vers une reconnaissance posthume, non pas fondée sur des dédommagements matériels, mais sur le respect de la vérité et de la dignité des soldats coloniaux.
Pour les historiens et les collectifs militants, cette affaire rappelle l’importance de la justiciabilité des erreurs administratives dans les dossiers historiques. Elle montre aussi que les archives, loin d’être figées, peuvent – et doivent – être corrigées quand la vérité historique l’exige. C’est une avancée significative dans la lutte pour la mémoire, la justice et la reconnaissance des sacrifices consentis par des hommes longtemps restés dans l’ombre de l’histoire officielle.