Paul Kagame prêtera serment pour un quatrième mandat à la présidence du Rwanda

Le président rwandais, Paul Kagame, a prêté serment dimanche pour un quatrième mandat, marquant ainsi la continuité de son règne sur le pays depuis près de trois décennies. Lors de la cérémonie d’investiture, organisée dans un stade bondé de Kigali, la capitale, Kagame a réitéré son engagement à maintenir la paix régionale, notamment dans le contexte du conflit en cours dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC).

Âgé de 66 ans, Kagame a remporté l’élection présidentielle du 15 juillet dernier avec un score écrasant de 99,18% des voix. Ce résultat, qualifié d’irréaliste par les défenseurs des droits humains, souligne la mainmise de son régime sur le pays. De nombreux chefs d’État africains étaient présents pour assister à cet événement, témoignant de l’importance de Kagame sur la scène politique régionale.

Lors de son discours d’investiture, Kagame a souligné que la paix dans la région était une priorité pour son pays. Toutefois, il a également pointé du doigt Kinshasa, la capitale de la RDC, en affirmant que la paix ne pouvait être instaurée sans que “la partie la plus concernée ne fasse ce qui est nécessaire”. Cette déclaration intervient dans un contexte où Kigali est accusé de soutenir les rebelles du M23 dans l’Est de la RDC, une région riche en ressources minières.

La situation dans l’Est de la RDC est d’autant plus préoccupante que, malgré un accord de cessez-le-feu négocié par l’Angola le mois dernier, les violences se poursuivent. Un rapport récent des Nations Unies indique que des milliers de soldats rwandais combattent aux côtés des rebelles du M23, renforçant ainsi les accusations selon lesquelles Kigali contrôlerait de facto les opérations de ce groupe armé.

Depuis son arrivée au pouvoir en 1994, après avoir renversé le gouvernement extrémiste hutu responsable du génocide, Paul Kagame a été crédité du spectaculaire redressement économique du Rwanda. Cependant, son régime est également critiqué pour son autoritarisme, avec des accusations d’intimidation, de détentions arbitraires et d’assassinats politiques.

Alors que la majorité de la population rwandaise n’a connu que Paul Kagame comme président, les élections de juillet dernier n’ont vu que deux candidats autorisés à concourir contre lui. Le climat politique au Rwanda, selon ses détracteurs, demeure marqué par la répression et l’absence de véritable opposition. Malgré cela, Kagame continue de jouir d’un soutien populaire significatif, en grande partie en raison de ses réussites économiques et de la stabilité qu’il a apportée à ce petit pays de l’Afrique des Grands Lacs.

Sous son régime, le Rwanda s’est transformé, laissant derrière lui un passé tragique pour se concentrer sur l’avenir. Reste à voir comment Kagame naviguera les défis régionaux et nationaux dans les années à venir, alors qu’il entame ce nouveau mandat à la tête de la nation rwandaise.

Rwanda : Plus de 7 700 lieux de culte fermés dans une vaste opération de mise en conformité

Le Rwanda est en pleine campagne de régulation de ses lieux de culte, une opération qui a conduit à la fermeture de plus de 7 700 églises, mosquées et autres établissements religieux à travers le pays. Cette initiative, menée par le Bureau rwandais de la gouvernance, vise à renforcer la sécurité des structures religieuses et à garantir la compétence des leaders spirituels qui y officient.

L’opération s’articule autour de trois axes majeurs, comme l’a précisé Judith Kazaire, responsable du département chargé des organisations religieuses au sein du Bureau rwandais de la gouvernance. Tout d’abord, les lieux de culte doivent se conformer à des normes strictes de sécurité pour assurer la protection des fidèles. Ensuite, les dirigeants religieux sont désormais tenus de détenir un diplôme en théologie, garantissant ainsi un niveau de compétence suffisant pour l’exercice de leurs fonctions. Enfin, l’initiative vise à s’assurer que les doctrines enseignées répondent à des standards professionnels rigoureux.

« Ce niveau d’éducation est requis pour s’assurer que les doctrines sont délivrées de façon professionnelle. Car nous avons des cas où les prêches sont trompeurs. C’est un droit d’avoir la foi, mais c’est aussi le devoir du gouvernement et des autres acteurs de protéger la population », a déclaré Judith Kazaire.

La majorité des fermetures sont liées à l’incapacité des organisations religieuses à se conformer aux normes édictées par la loi de 2018, malgré une période de grâce de cinq ans pour se mettre en règle. Parmi les raisons spécifiques des fermetures figurent la diffusion de prêches illégaux, notamment ceux incitant les fidèles à refuser le vaccin contre le coronavirus. Ce type de discours, jugé dangereux pour la santé publique, a conduit à des interventions strictes.

Kazaire a souligné que la non-conformité des lieux de culte n’était pas seulement due à un manque de moyens financiers, mais aussi à un relâchement dans le respect des régulations. « Quand quelqu’un connaît les régulations, et encore plus quand les églises ont la vie de personnes entre leurs mains, il doit y avoir une responsabilité », a-t-elle affirmé.

Bien que les critiques ouvertes des leaders religieux soient rares, la fermeture massive des lieux de culte a provoqué des tensions. Les médias locaux ont rapporté le cas d’un pasteur arrêté pour avoir continué à prêcher malgré la fermeture de son église. Cet incident illustre le difficile équilibre que le Rwanda tente de maintenir entre la protection de la population et le respect de la liberté religieuse.

Le gouvernement rwandais continue de défendre cette initiative, arguant que la régulation et l’amélioration de la qualité des services religieux sont essentielles pour le bien-être de ses citoyens. Cette vaste opération de mise en conformité pourrait bien redéfinir le paysage religieux du pays dans les années à venir.

Paul Kagame réélu avec 99,15% des voix au Rwanda : un soutien écrasant ou une démocratie en question ?

Lundi soir, la Commission électorale nationale du Rwanda a annoncé des résultats partiels de l’élection présidentielle, montrant que le président sortant Paul Kagame a remporté 99,15% des voix. Ces chiffres, basés sur le dépouillement de 79% des bulletins, ont placé Frank Habineza du Parti Démocratique Vert du Rwanda à 0,53% et l’indépendant Philippe Mpayimana à 0,32%.

Paul Kagame, à la tête du Front patriotique rwandais, a été confronté aux mêmes adversaires qu’en 2017 : Frank Habineza et Philippe Mpayimana. Lors de l’élection précédente, il avait obtenu 98,79% des voix, ce qui soulève des questions sur la diversité et la compétitivité du paysage politique rwandais.

Ces résultats préliminaires ont suscité diverses réactions, certaines saluant la stabilité et les progrès économiques sous la présidence de Kagame, tandis que d’autres critiques soulignent un manque de pluralisme politique véritable. Le Rwanda est souvent cité comme un exemple de relèvement post-conflit et de développement économique en Afrique, mais ses élections font également l’objet de débats sur la démocratie et la liberté d’expression.

La présidente de la Commission électorale, Oda Gasinzigwa, a annoncé que les résultats finaux seraient proclamés le 27 juillet, après la publication des résultats complets le 20 juillet. Ces élections marquent un moment clé pour le Rwanda, où la stabilité politique et la croissance économique vont de pair avec des critiques persistantes concernant la gouvernance et les droits politiques.

À propos de Paul Kagame : Paul Kagame, au pouvoir depuis 2000, est largement crédité pour avoir dirigé le Rwanda hors du génocide de 1994 vers une période de relèvement économique et de modernisation. Cependant, ses critiques soulignent une gouvernance parfois autoritaire et des restrictions sur la liberté d’expression et l’activité politique de l’opposition.

Contexte politique du Rwanda : Depuis le génocide de 1994, le Rwanda a connu une transformation remarquable sur les plans économique et social. Cependant, le pays est souvent critiqué pour ses restrictions sur la liberté d’expression et l’activité politique de l’opposition. Les élections, bien que souvent jugées libres et équitables sur le plan technique, font face à des critiques concernant le pluralisme politique réel et la liberté d’expression.

La réélection attendue de Paul Kagame soulève des questions essentielles sur la démocratie et la gouvernance au Rwanda, mettant en lumière les défis persistants entre la stabilité politique et les normes démocratiques internationales.

Le Premier ministre britannique défend les expulsions vers le Rwanda malgré les critiques

Le Premier ministre britannique Rishi Sunak a défendu la loi visant à expulser des clandestins vers le Rwanda, affirmant qu’elle avait déjà un effet dissuasif sur les migrants. Cette déclaration intervient après que le gouvernement irlandais a signalé une augmentation des arrivées de migrants, attribuée à la politique migratoire britannique.

Malgré les critiques et les appels à renoncer à cette mesure, Rishi Sunak persiste à soutenir les expulsions vers le Rwanda, affirmant qu’il s’agit d’une tentative de sécuriser les frontières britanniques face à un “défi mondial”.

Le vice-Premier ministre irlandais a exprimé ses préoccupations quant aux effets de cette politique sur l’Irlande, affirmant que les migrants pourraient être incités à entrer en Irlande du Nord par crainte d’être expulsés vers le Rwanda.

Le gouvernement britannique a prévu de mettre en œuvre cette mesure controversée dans les 10 à 12 prochaines semaines, mais des appels se multiplient pour demander une réévaluation de cette politique. L’ONU et d’autres organisations, dont des Églises chrétiennes, ont exhorté le Royaume-Uni à renoncer à ces expulsions, soulignant l’importance du respect du droit international des droits de l’homme et de la coopération internationale dans la gestion des flux migratoires.

Alors que les critiques se font de plus en plus pressantes, le gouvernement britannique reste déterminé à mettre en œuvre cette mesure controversée, malgré les appels à reconsidérer sa position. La question de l’impact sur l’Irlande du Nord reste également une préoccupation majeure, alors que les gouvernements britannique et irlandais cherchent des solutions pour gérer cette situation complexe.

Le Royaume-Uni approuve le projet d’expulsion de demandeurs d’asile vers le Rwanda malgré les critiques

Dans un vote nocturne, le Parlement britannique a donné son feu vert au projet de loi controversé visant à expulser vers le Rwanda les demandeurs d’asile entrés illégalement au Royaume-Uni. Cette décision survient après de nombreux débats et amendements de la part des membres de la Chambre des Lords, mais le texte a finalement été adopté sans modification, assurant ainsi son entrée en vigueur.

Le projet, annoncé il y a plus d’un an sous le gouvernement de Boris Johnson, vise à expédier vers le Rwanda les migrants ayant franchi illégalement les frontières britanniques. Bien que cette initiative n’ait jamais été mise en œuvre jusqu’à présent, le gouvernement conservateur persiste dans son intention de concrétiser ce projet avant les prochaines élections législatives prévues cette année. Malgré les nombreuses critiques et condamnations, les conservateurs voient en cette politique une mesure clé dans leur lutte contre l’immigration clandestine.

Lors d’une visite du président rwandais Paul Kagame au Royaume-Uni, des assurances ont été données quant à la mise en œuvre imminente de ce projet. Boris Johnson et Paul Kagame ont affirmé que les premiers vols vers le Rwanda auraient lieu au printemps, marquant ainsi un jalon dans la politique migratoire du Royaume-Uni.

Cette décision suscite des préoccupations et des controverses, tant au niveau national qu’international. De nombreuses voix s’élèvent contre cette mesure, dénonçant son caractère inhumain et contraire aux principes fondamentaux des droits de l’homme. Cependant, le gouvernement britannique reste déterminé à poursuivre cette politique, affirmant qu’elle est nécessaire pour maintenir la sécurité et l’ordre aux frontières du pays.

La mise en œuvre concrète de ce projet et ses conséquences sur les migrants concernés restent sujettes à débat et soulèvent de nombreuses questions quant à la responsabilité et à l’éthique de telles pratiques dans le contexte de la protection des réfugiés et des demandeurs d’asile.

Rwanda: «Si la France avait été convaincue des risques d’un génocide, elle aurait pu persuader Habyarimana de faire marche arrière»

Que savait la France de la mécanique génocidaire enclenchée au Rwanda au début des années 90 ? Pouvait-elle contrecarrer le projet des extrémistes du régime Habyarimana ? Ces questions ont été relancées par les propos d’Emmanuel Macron selon qui la France « aurait pu arrêter le génocide » des Tutsis, mais n’en a « pas eu la volonté ». Un homme détient une partie des réponses. Cet homme, c’est le général Jean Varret. 

De 1990 à 1993, Jean Varret a été chef de la mission militaire de coopération. Il a vu des signes avant-coureurs des massacres au Rwanda, a tenté d’alerter, de s’opposer, mais il n’a pas été entendu. Il a même été mis à l’écart. C’est ce qu’il raconte à RFI, à l’occasion des trente ans du génocide des Tutsis au Rwanda, ce dimanche.

RFI : Le président Emmanuel Macron estime que la France aurait pu arrêter les massacres lors du génocide des Tutsis, mais n’en a pas eu la volonté. Vous n’étiez plus sur place quand le génocide a démarré, mais diriez-vous que dans la période de 1990 à 1993, où vous étiez chef de la mission militaire de coopération au Rwanda, si les autorités avaient donné les bonnes instructions, on aurait pu endiguer la mécanique génocidaire. 

Général Jean Varret : C’est certain. Absolument. Parce que la France était très proche du Rwanda et les deux présidents s’appréciaient, se téléphonaient. Mais, attention, il aurait fallu commencer tôt, c’est-à-dire dès 1989, 1990… Dates auxquelles le processus du génocide s’est mis en place, progressivement. Ça aurait été trop tard, en 1993. La machine était lancée. Mais je pense que, dès le départ, vers 1989-1990, la France, si elle était convaincue des risques d’un génocide, aurait pu persuader Habyarimana de faire marche arrière. 

Est-ce que les signes étaient clairs, à cette époque-là, du risque de génocide ? 

Ces signes étaient clairs pour peu de monde. Un chef de coopération militaire a 26 pays et, dans chaque pays, il y a un colonel. Dans le cas du Rwanda, il y avait un colonel, qui s’appelle René Galinié, et ce monsieur était en place depuis deux ans quand j’ai pris mes fonctions en 1990. Donc il connaissait très bien le Rwanda et avait très vite vu des signes avant-coureurs d’un risque à soutenir la politique française menée au Rwanda. Il m’en a fait part dès que j’ai pris mes fonctions, au travers d’écrits, au travers de coups de fil, etc. Je me suis rendu sur place très vite, avant la fin de l’année 1990. Et là, il m’a expliqué -très clairement- les dérives possibles de notre politique française. Donc, lui était déjà très sensibilisé et je dois dire que ses arguments m’avaient convaincu. J’ai multiplié les allers-retours. Je crois qu’en l’espace de six mois, je suis allé quatre fois au Rwanda. À chaque fois, j’ai pu constater que René Galinié avait raison. 

Que vous disait précisément René Galinié sur les risques qui existaient ?

René Galinié me disait que le pouvoir hutu devenait un pouvoir dictatorial et considérait que la minorité tutsi était les ennemis des Hutus. Or, Galinié, très tôt, m’a dit, le gouvernement français – enfin, l’équipe dirigeante française – considère, comme les Hutus, que les Tutsis sont des ennemis. Galinié, là-dessus, m’a convaincu très vite que la politique de la France considérant les Tutsis comme ses ennemis était erronée. Jusqu’au jour, très tôt d’ailleurs, autour du deuxième voyage que j’ai fait, où le chef d’état-major m’a demandé d’aller à une réunion qu’il avait montée avec les gendarmes. Et là, le chef de la gendarmerie, un certain Rwagafilita, me demande des mitrailleuses, des mortiers… Alors, j’ai dit : « Mais la coopération militaire française n’est pas là pour équiper la gendarmerie comme une armée ! Moi, je veux bien vous donner des gilets pare-balles, des casques, des grenades lacrymogènes et continuer à vous former au maintien de l’ordre, à la lutte, peut-être, contre les manifestations, s’il y en a, en particulier des Tutsis, mais certainement pas des armes de guerre ! » Devant la sécheresse de mes réponses, le chef d’état-major dit que la réunion est terminée et le chef des gendarmes demande simplement à me voir en tête-à-tête, si je suis d’accord. Et là, il me dit froidement : « Écoutez, si je vous ai demandé ces armes létales, ces armes de guerre, c’est parce que nous allons participer, nous gendarmes, avec l’armée rwandaise, l’armée hutue, à la liquidation de tous les Tutsis. » « Comment, je dis, tous les Tutsis ? » « Oui, les femmes, les enfants, les vieillards, tous ceux qui sont sur place. Rassurez-vous, ça ira assez vite, ils ne sont pas très nombreux. »

Il emploie ces mots : « Nous allons participer à la liquidation de tous les Tutsis. »

Oui, c’est la phrase exacte, je l’ai toujours en mémoire. Et la phrase complémentaire : « Rassurez-vous, ce sera vite fait. Ils ne sont pas très nombreux. »

Vous prévenez Paris de cet entretien ?

Alors, évidemment, je prenais l’avion quelques heures après pour retourner en France. Et je demande immédiatement à voir Habyarimana lui-même, le président, qui m’avait déjà reçu pour me demander différents apports d’armements et autres, il demandait une augmentation de la coopération militaire. Je demande à le voir et je passe voir l’ambassadeur, qui s’appelle monsieur Martre à l’époque, je lui dis ce que je viens d’entendre et je demande à aller voir Habyarimana. L’ambassadeur me dit : « Allez-y, je n’ai pas le temps d’y aller, je ne peux pas. » Je vois Habyarimana, non pas au palais, mais chez lui, car il était tard. Je dis ce que vient de me dire Rwagafilita. Et là, il se lève, furieux, et il me dit : « Il vous a dit ça, ce con-là ? » Toujours la phrase exacte… Je dis « Oui ! » « Eh bien, je le vide. »  D’abord, il n’a pas été vidé. Je ne sais pas s’il était furieux parce que Rwagafilita avait vendu un projet secret ou, simplement, parce qu’il trouvait que ce n’était pas à lui de dire ça… Je ne sais pas, mais, enfin, il était furieux. Dans l’avion, je rédige un télégramme, un TD secret-défense, que j’adresse à mon ministre -au ministre des Armées- et à l’état-major particulier du président. 

Quel est le retour qui vous est fait des autorités françaises sur ce télégramme diplomatique ? 

Aucun. Aucune réponse. On ne me dit pas que j’ai tort. On ne me dit pas que c’est faux. Apparemment, on n’en tient pas compte. Je dis bien « apparemment ». Mais ce télégramme a été lu puisque, très longtemps après, un des lecteurs m’en a fait allusion. 

Est-ce qu’il y a d’autres situations qui vous ont alarmé ? 

Oui, parce qu’après, quand je retournais au Rwanda ou quand je communiquais avec Galinié, les massacres des Tutsis commençaient, en particulier au nord-est du pays, c’est-à-dire dans le fief des Hutus extrémistes. Et puis dans le sud, et ça touchait aussi les Hutus modérés. Donc les massacres se multipliaient. Parallèlement, la pression de l’état-major particulier du président français s’accentuait sur moi pour que je réponde positivement aux demandes de renforcement militaire de la coopération. Ces deux contradictions me montraient que la situation devenait très grave.

Tous les éléments dont vous disposez veulent dire que les autorités à Paris savent donc ce qui se trame ?

Je ne sais pas s’ils savent ce qui se trame. Enfin, Galinié et moi, on l’a dit. On l’a dit oralement, dans la cellule de crise, et on l’a dit par écrit. Mais on n’est pas cru. Je pense que ni Galinié, ni moi, ni même un rédacteur du Quai d’Orsay qui s’appelait Antoine Anfré [Antoine Anfré a depuis été nommé ambassadeur de France au Rwanda, en juin 2021, NDLR]. Ce rédacteur avait senti la chose, mais il n’a pas été écouté. Galinié et moi, nous n’avons pas été écoutés. Je pense qu’on était minoritaires, tellement minoritaires que nos voix n’étaient pas audibles.

Justement, lors des réunions de la cellule de crise auxquelles vous participez par la suite, quelle est l’attitude que vous tenez et quel est l’accueil que vous recevez ? 

Alors, dans les cellules de crise, il y avait le représentant du Quai d’Orsay, le représentant de la défense, le représentant de la coopération (en général, c’était moi) et puis le représentant de l’Élysée, le chef d’état-major (ou son adjoint) de l’état-major particulier du président. Dans ces réunions, on discutait de l’apport, du renfort, de l’aide qu’on devait apporter au gouvernement rwandais dans ses combats contre les Tutsis. Et moi, à chaque fois, je disais « Non, ce n’est pas la peine de leur envoyer des canons de plus. Non, il ne faut pas leur envoyer des mitrailleuses de plus, etc. ».

Au bout d’un moment, on ne tenait plus compte de mes restrictions. Au contraire, on m’enlevait des prérogatives que le chef de coopération militaire a, c’est-à-dire, dans les pays du champ, tous les militaires qui sont sur place dépendent de lui. C’est comme cela que des unités spéciales qui étaient dans un camp au Rwanda, chargées de former des cadres hutus, j’apprends que ces unités spéciales, qui étaient sous mes ordres, avaient été faire une reconnaissance en Ouganda en franchissant la frontière sans mon autorisation. Donc, non seulement, je les engueule, mais je fais également une information en disant que c’est inadmissible que cette unité ait transgressé mes ordres. Quand je rentre à Paris, j’ai un télégramme sur mon bureau disant que les unités spéciales mises dans le camp de Gabiro ne sont plus sous vos ordres. Donc, petit à petit, je comprends que non seulement je ne suis pas écouté, mais que je gêne. Je ne suis plus convoqué aux cellules de crise. En mon absence, certains ont dit : « méfiez-vous de Varret », autrement dit, ne l’écoutez pas.

Avant la fin de ma troisième année, le ministre, très gêné, me dit : « Je viens d’apprendre que vous êtes remis à la disposition du ministre de la Défense, que vous quittez vos fonctions et que vous êtes remplacé par ce jeune général. » J’appelle la Défense qui me dit : « Effectivement, vous allez être nommé gouverneur militaire du nord de la France. » Et moi, je dis non, je ne veux pas, je n’ai pas été écouté, je demande ma démission. Ma démission, il fallait que ce soit le président qui la signe. Le président refuse de me la signer et me convoque à l’Élysée à deux reprises pour me dire : « Je ne veux pas que vous démissionniez. »

Lassé de prêcher dans le désert, lassé de ne pas être écouté et de ne pas être cru, lassé d’être mis de côté, je suis parti un an avant le génocide et j’ai volontairement fermé toutes les informations que j’avais, fermé [cessé] de m’intéresser au Rwanda. Si ce n’est que, quand le génocide s’est déclenché, j’ai essayé de contacter le président Mitterrand, ce que j’ai fait par une personne interposée. Et je lui ai fait dire : « Pourquoi n’avez-vous pas tenu compte de mes télégrammes ? » Et la réponse de Mitterrand, qui a été immédiate : « Je n’ai pas vu vos télégrammes. » Vrai ou faux ? Je n’en sais rien, mais pour moi, l’affaire se conclut comme cela. 

Qui balayait le plus souvent vos réserves lors de ces discussions de la cellule de crise ? 

Je dois dire, un peu tout le monde, mais, certainement, en priorité, l’état-major particulier du président. 

Pourquoi, selon vous, les alertes que vous avez lancées n’ont-elles pas été entendues ? 

Je pense simplement que je n’étais pas audible. Parce que je m’apercevais que, dans les réunions de crise, tout le monde était sur une même ligne. C’est-à-dire le Quai d’Orsay, la Défense, l’état-major particulier. C’est au travers de ces trois entités que se réglaient les problèmes du champ. Je n’étais pas audible parce que les trois entités que je cite étaient toutes sur la même ligne que le président Mitterrand. Et le président Mitterrand m’avait expliqué, quelques années avant, en Afrique, quelle était sa politique africaine. Sa politique africaine, c’était permettre à la France d’avoir, à l’ONU, des pays qui votaient comme elle, ce qu’on appelait « les pays du champ », et d’avoir donc du poids face aux États-Unis. Dans le cas du Rwanda, le président Mitterrand voulait absolument que le Rwanda reste francophone, au travers des Hutus, car ils étaient menacés par les anglophones, qui étaient les Tutsis équipés, armés et formés par les anglo-saxons. Car je rappelle que Kagame, le président actuel, était allé à l’école de guerre américaine et était allé dans les écoles anglaises de l’Ouganda. 

C’était le regard que le président français François Mitterrand portait sur la situation au Rwanda ?

Oui, et personne autre que moi, à l’époque, à mon niveau, personne ne disait au président que dans le cas du Rwanda, cette politique pouvait amener des catastrophes. Tout le monde disait ce que Mitterrand voulait entendre. 

Il y avait une volonté de plaire au prince, vous pensez ? Ou alors, c’est parce qu’il y avait une conviction qui allait dans le même sens que celle du président Mitterrand. 

Certainement les deux. Il y avait quand même une conviction que Mitterrand avait raison. Et puis, une part que je ne peux pas évaluer, une part de flagornerie. Il était difficile de dire au président qu’on n’était pas d’accord. Je pense que le président avait une autorité indiscutable et un certain charisme qui faisaient que son entourage n’osait pas lui dire qu’il partait sur une fausse route.

Le général Jean Varret a signé un livre d’entretiens avec le journaliste Laurent Larcher intitulé Souviens-toi, publié aux éditions Les Arènes. 

Rwanda: refaire société, 30 ans après le génocide

Les commémorations des trente ans du génocide des Tutsis commencent ce 7 avril au Rwanda. Trois décennies après l’horreur, les blessures invisibles restent présentes. Certaines se sont même transmises à la génération suivante. Entre parole et justice, soin et création artistique, RFI était en édition spéciale ce dimanche pour évoquer les voies empruntées par les Rwandais afin de refaire société. Une édition spéciale à réécouter dans cet article. 

Mushubati, sur les hauteurs du lac Kivu au Rwanda. Léoncie est une rescapée de 65 ans. Elle s’interroge sur le silence. Son silence. Celui qu’elle a longtemps gardé auprès de ses enfants et petits-enfants. « Ce qui nous a poussé à ne pas raconter notre histoire à nos enfants, c’est parce qu’on était blessés par les traumatismes du génocide. Mais j’ai réalisé que nous, les plus âgés, on a échoué avec nos enfants, avec nos petits-enfants, on a échoué. » Léoncie fait partie des femmes, jeunes, rescapés ou non qui passent par la salle d’ateliers d’Émilienne Mukansoro, installée en bas de sa maison familiale. La psychothérapeute accompagne de nombreux groupes, notamment sur les questions de mémoire du génocide et de transmission entre générations.

Cette transmission reste difficile pour les générations qui ont vécu les massacres : beaucoup choisissent de se taire pour protéger les plus jeunes de la vérité. « On a choisi de se taire, raconte Émilienne Mukansoro, croyant que c’est une façon de protéger les enfants, les jeunes… mais le silence n’empêche pas la transmission. Le silence n’empêche pas que les jeunes absorbent des choses. » La vérité, selon la psychothérapeute, doit être racontée : « Les jeunes ont besoin de poser des questions à leurs aînés. Et les aînés ont le devoir de répondre, de ne pas les laisser dans quelque chose d’abstrait. Et je me dis que c’est de là que les jeunes tireront la force de continuer leur vie. »  

Ces jeunes nés après le génocide représentent désormais près de 65% de la population. Ils brisent parfois le silence et cherchent à connaître leur passé, à l’écoute des conversations derrière les portes, les fenêtres, pour récolter des bribes de vérité sur l’histoire de leur famille.

Panser les blessures invisibles

Le deuil, trente ans après, reste parfois complexe. Car les corps des proches n’ont pas toujours été retrouvés. Les tueurs n’ont pas toujours dit où ils les avaient laissés. À 84 ans, Azela Nyirangirumwami habite désormais dans le village d’Otava, dans le district de Huye, dans l’une des quatre maisons construites par le gouvernement pour accueillir des rescapés âgés qui ont perdu toute leur famille. L’ignorance du lieu où ses proches sont morts reste omniprésente. « Je n’ai pas pu enterrer les miens, confie-t-elle, D’autres ont pu enterrer leurs proches, avoir des veillées, pas moi. Des membres de ma famille ont été jetés dans les rivières, on m’a dit que mon mari avait été tué à Kibuye, mon fils à Kibungo. Toujours, j’y pense, c’est douloureux, mais tout a une fin. »

Trente ans après le génocide, les blessures de la société rwandaise ne sont pas encore refermées. À Kigali, le révérend Antoine Rutayisire, pasteur à la retraite de l’Église anglicane, en témoigne. Lui-même est rescapé. « Le Rwanda donne une apparence de rétablissement. Il y a une guérison visible. Extérieurement, le pays s’est reconstruit très rapidement, mais les cœurs prennent plus de temps. Ça prend du temps de reconstruire la confiance entre les gens qui hier étaient meurtriers, les autres étaient victimes, ça prendra du temps, peut-être deux ou trois générations. Il y a encore des blessures cachées. »

Frank Kayitare, représentant de l’ONG Interpeace au Rwanda, partage son analyse : trente ans, à l’échelle des cœurs et de la santé mentale, c’est peu. « Si vous regardez comment le génocide a été commis… des voisins qui tuaient leurs voisins, des professeurs qui ont tué leurs élèves, des médecins qui ont tué leurs patients, il y a même eu des meurtres intra-familiaux. Donc guérir de ce genre de crimes n’est pas quelque chose qui peut se faire rapidement. »

Vivre ensemble à nouveau

Quelle piste pour soigner ces blessures ? « S’il s’agit d’un génocidaire ou de sa famille, explique Frank Kayitare, il faut d’abord traiter, extérioriser la honte, la peur, la culpabilité.  Pour qu’ils puissent s’ouvrir aux rescapés. Les rescapés, eux, doivent faire face aux agresseurs, parler de ce qu’ils ressentent. Certains d’entre eux ont encore besoin de réponses parce qu’ils ne savent pas où leurs proches ont été enterrés. Ils doivent donc faire face aux bourreaux et leur poser des questions difficiles. »

Marie Claire Uwamahoro est la représentante de l’association Ibuka dans la zone de Tumba, là où exerçait le Docteur Sosthène Munyemana. Le gynécologue a été condamné à 24 ans de prison aux assises françaises pour son implication dans le génocide. La justice explique Mme Uwamahoro, est incontournable pour la reconstruction des victimes et du pays : « Nous avons suivi le procès mais de loin. Sa condamnation n’est pas à la hauteur des crimes qu’il a commis. Mais le fait qu’il ait été reconnu coupable, ça nous a rendu heureux.

« Personnellement, je crois qu’il aurait dû être condamné à la perpétuité pour ce qu’il nous a fait. Attendre aussi longtemps son arrestation, poursuit la représentante d’Ibuka, ça a été une forme de torture pour nous. Savoir qu’il a pu vivre librement toutes ces années, c’est de la torture. Mais finalement, il a été arrêté et jugé, donc je suis heureuse de cela. »

Le génocide de 1994 au Rwanda a ceci de particulier qu’il a été un génocide de proximité. De fait, il faut bien continuer à vivre dans les villages, sur les collines, les uns à côté des autres, quand les génocidaires condamnés sortent de prison et retournent dans leurs communautés. Comment vivre ensemble ? Comment aider les uns et les autres et rendre supportable cette situation ? Des ONG comme Interpeace ou comme l’association AMI (Association Modeste et Innocent) organisent par étapes des formes de sociothérapie, des groupes de parole, pour que victimes, bourreaux et familles engagent le dialogue.

Réécoutez notre édition spéciale présentée par Julien Coquelle-Roëhm, avec Assumpta Mugiraneza, co-fondatrice et directrice du centre Iriba, Eugène Rutembesa, psychologue clinicien et universitaire, Jean Hatzfeld, journaliste et écrivain, Paul Simon Handy, directeur du bureau régional Afrique de l’Est de l’Institut d’études de sécurité (ISS) et Christophe Boisbouvier, journaliste au service Afrique à RFI.

Rwanda : Macron évoque la non-intervention française dans le génocide de 1994

À l’approche du trentième anniversaire du génocide rwandais de 1994, les regards se tournent vers la France alors que le président Emmanuel Macron reconnaît publiquement que la France aurait pu intervenir pour arrêter les massacres, mais n’a pas agi. Cette déclaration présidentielle, annoncée par l’Élysée, ravive le débat sur la responsabilité de la France dans cette tragédie et sur la nécessité d’excuses officielles.

L’annonce de Macron intervient alors que les préparatifs pour commémorer le génocide de 1994 au Rwanda sont en cours, et que la question des réparations potentielles se fait de plus en plus pressante. En mai 2021, lors de sa visite à Kigali, Macron avait déjà admis la responsabilité de la France dans ces événements tragiques, mais sans formuler d’excuses officielles.

Cette déclaration du président français met en lumière le rôle controversé de la France pendant le génocide rwandais, où elle est accusée d’avoir soutenu le gouvernement rwandais de l’époque, dominé par les Hutus, malgré les signes évidents de préparation d’un génocide contre les Tutsis. Les critiques portent également sur l’envoi de troupes françaises dans le cadre de l’opération Turquoise, qui aurait potentiellement protégé les responsables du génocide lors de leur retraite au Zaïre.

Le débat sur les excuses officielles de la France reste vif, avec des appels croissants de la part des survivants du génocide et de leurs familles, ainsi que de la communauté internationale. La reconnaissance publique des erreurs passées et des responsabilités historiques pourrait être un premier pas vers la guérison et la réconciliation entre la France et le Rwanda, mais la question des réparations reste un sujet délicat et complexe.

À mesure que le monde se prépare à commémorer cette sombre période de l’histoire rwandaise, la position de la France et la réaction de Macron lors de cette commémoration seront scrutées de près, avec l’espoir que cela contribuera à une meilleure compréhension et à une véritable réconciliation entre les deux nations.

Rwanda : Macron admet que la France “aurait pu arrêter le génocide” mais n’en a “pas eu la volonté”

Le président français, Emmanuel Macron, reconnaît que la France aurait pu empêcher le génocide au Rwanda en 1994, mais qu’elle n’en a pas eu la volonté. Cette déclaration intervient à l’approche du 30e anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda.

Les propos de Macron seront diffusés dans une vidéo à l’occasion des commémorations qui débutent ce dimanche, selon l’Élysée. Le chef de l’État français avait déjà reconnu en 2021 la “responsabilité” de la France dans ce génocide qui a causé la mort de 800 000 à un million de personnes.

Dans cette vidéo, Macron souligne que la communauté internationale avait les moyens de savoir et d’agir dès le début des massacres, rappelant notamment les précédents génocides arménien et de la Shoah. Il critique également le retrait rapide de la Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) dès le début des atrocités.

Cette déclaration s’inscrit dans la continuité du discours que Macron avait tenu à Kigali en mai 2021, basé sur les conclusions du rapport Duclert qui soulignait le rôle de la France dans le renforcement du pouvoir hutu et la dérive raciste au Rwanda.

Bien que Macron ne se rende pas aux commémorations au Rwanda, il sera représenté par des membres du gouvernement français. Cette annonce a été saluée par l’association Ibuka France, regroupant les rescapés du génocide, mais critiquée par le Collectif des parties civiles pour le Rwanda qui estime que la France doit aller plus loin dans la reconnaissance de sa complicité.

Ce nouvel aveu de responsabilité de la France dans le génocide rwandais pourrait ouvrir la voie à une nouvelle phase de dialogue et de réconciliation entre les deux pays, marquant ainsi une étape importante dans la reconnaissance et la réparation des souffrances causées par ce terrible événement de l’histoire moderne.

SENEGAL-RWANDA-VISITE / Macky Sall a quitté Dakar à destination de Kigali

Le chef de l’État a quitté Dakar dimanche matin à destination de Kigali où il doit assister à la cérémonie d’inauguration d’une usine de pointe pour la fabrication de vaccins ARN messager, a-t-on appris de source officielle.

Sur sa page facebook, la présidence sénégalaise annonce qu’à l’invitation de son homologue rwandais Paul Kagame, Macky Sall va assister à la cérémonie d’inauguration de l’usine Biontech Africa, ‘’une usine de pointe pour la fabrication de vaccins ARN messager destinée à lutter contre le paludisme et la tuberculose en Afrique’’.

La même source signale qu’à son départ de Dakar à l’Aéroport militaire Léopold Sedar Senghor, le président Sall a été salué par le Premier ministre et d’autres personnalités civiles et militaires

APS

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