Entre l’Enfer du Trajet et l’Horreur de la Réalité, Leur Rêve Vire en Cauchemar
Ils ont tous un parcours. Une histoire à raconter. Partis du Sénégal, du Mali, de la Guinée, du Burkina Faso, du Nigéria, de la Côte d’Ivoire, du Cameroun, de la Tunisie, du Maroc, entre autres pays de l’Afrique subsaharienne, ces populations, à la recherche d’un avenir meilleur, prennent des risques énormes, au péril de leur vie. En pirogue, ils bravent la mer pour se rendre en Europe.
Serigne Mor Mbaye, Psychologue : « Si les jeunes vont jusqu’à dire « Barça Wala Barsak » (Réussir ou la mort), c’est parce qu’ils ont atteint le summum du désespoir. Une situation, source de beaucoup de douleur et de dépression chez plusieurs d’entre eux.»
Durant ce voyage suicidaire, tout peut arriver. Certains meurent en mer. Et sont abandonnés dans les eaux. C’est le cas de l’activiste sénégalais Papitot Kara, décédé quatre jours après son départ à bord d’une pirogue, qui a embarqué de «Kayar». D’autres disparaissent. Et ne donnent aucun signe de vie ! Mame Cheikh Diouf, parti depuis le 28 octobre 2023, en fait partie.
Amy Fall : « Mon fils a pris la pirogue et depuis lors, on n’a aucune nouvelle de lui. Il nous a caché son voyage. C’est trois jours après que le mari de ma fille, Mame Diarra, a appelé cette dernière pour lui dire que Lamp lui avait laissé deux messages vocaux. Il lui disait avoir embarqué pour l’Espagne tout en demandant à ce que l’on prie pour lui.»
Dans cette quête pour rejoindre l’eldorado européen, de nombreuses tentatives se soldent par des échecs sans pour autant décourager les candidats malheureux.
Etienne Kadam, 23 ans, Pêcheur à Bargny : « La jeunesse sénégalaise a longtemps été dans la galère. On travaille sans pouvoir épargner le moindre sou. On a même du mal à satisfaire nos besoins. On ne se retrouve plus dans ce pays. C’est pourquoi on a tenté l’aventure. Aujourd’hui, si c’était à refaire, on le ferait encore parce que l’on manque d’espoir. »
Les plus chanceux réussissent la traversée. Un groupe de jeunes Sénégalais, croisés à la plage de «Las Canteras» de «Las Palmas» en Espagne, nagent dans le bonheur.
Malick Bâ, 45 ans : « Je suis enfin en Europe. Je rêvais d’être ici et je ferai tout pour m’en sortir. Cet homme (la mer), nous en a fait voir de toutes les couleurs mais il a aidé beaucoup de personnes. Et on prie beaucoup pour lui. Comme il nous a aidés à faire ce voyage, que le Seigneur l’aide aussi. »
Après l’euphorie des premières semaines, la réalité gifle en pleine figure. Il faudra être fort pour sortir de l’univers des «sans papiers». Entre la vie dans la rue et celle dans les squats, certains sombrent vite dans la délinquance.
Sano Diaby alias Nakata : « Je suis en France depuis 4 ans. Et je vis dans un squat. La vie de squat n’est pas facile… On ne pensait pas que l’on vivrait de telles situations une fois en Europe. On pensait qu’une fois en Europe, on aurait plus de difficultés. Mais, c’est tout le contraire… »
Mais, la réussite est bien possible. Il faudra être résilient pour espérer voir le bout du tunnel.
Moussa Koita : « Actuellement, j’ai ma licence en attaché commercial, j’ai deux ans d’expérience en sociologie, une année d’expérience en linguistique sans compter mes expériences du bled. J’ai quitté le squat, j’ai épousé ma femme, j’ai changé mon réseau, j’ai eu mes papiers et j’ai demandé ma nationalité. Mon décret est sorti et j’attends ma carte de nationalité. Comme disent les Toofan, on peut passer de zéro à héros même si je ne suis pas un héros. »
Le phénomène de l’émigration irrégulière a ses échecs et ses réussites. Depuis 1994, les pirogues affluent en Espagne. Aujourd’hui, le phénomène est devenu incontrôlable.
610 pirogues, transportant 39 910 personnes, sont arrivées en 2023. La tendance de 2024 fait peur. Le 29 février, 181 embarcations, transportant 11 932 personnes, sont arrivées, soit une hausse de 53,8%. En plus de la féminisation de l’émigration !
Pourtant, des efforts ont été faits pour trouver des solutions à ce drame social.
Me Lamine Dobassy, Avocat au Barreau de Toulouse : « Son objectif était de connaître ce fléau migratoire qui frappe l’Afrique. Lors de cette conférence, il a donné des suggestions et des orientations à faire. Au mois d’août, il terminait naturellement sa mission au niveau de la Médiature de la République du Sénégal. Malheureusement, il a été terrassé. »