TRIBUNE DU WEEK-END Par Abdoul Aziz DIOP : Une histoire sénégalaise des violences politiques

Invité par l’antenne de Thiès du mouvement Y en a marre pour l’animation du panel sur la «préparation de 2012 à la lumière de l’Histoire», nous avons introduit, le dimanche, 18 décembre 2011, au Palais des Arts, le thème : «Tradition électorale et violences politiques… » Face à la montée des périls consécutive au contentieux constitutionnel sur la recevabilité ou non de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade pour un troisième mandat, l’hypothèse d’école de troubles postélectoraux se double de l’hypothèse préélectorale d’une crise politique majeure, faite de violences, bien avant même que les Sénégalais ne se rendent aux urnes pour élire leur président.

La subdivision du temps politique – qui n’est rien d’autre que le temps de la vie – en trois séquences (préélectorale, électorale et postélectorale) permet, à la lumière des faits politiques cumulés dans chacune des trois séquences, de déterminer laquelle d’entre elles doit faire l’objet d’un examen minutieux pour jeter les bases d’une régulation politique crédible, efficace et durable. Au Sénégal, l’hypothèse d’un fait politique postélectoral dominant, et que l’on pourrait qualifier de violent, si elle se vérifiait, donne une indication sur ce que devrait être une régulation politique en amont plutôt qu’en aval de la séquence politique dite électorale. Un jeune sénégalais, dont l’âge ne s’écarte pas trop de la moyenne d’âge des jeunes militants de Y en a marre, trouverait l’hypothèse intéressante dès lors qu’il scrute le passé, relativement récent, pour se faire une idée sur les formes de manifestation de la violence politique, son ampleur, ses conséquences et la manière de la juguler. Mais qu’est-ce que la violence politique ? Avant de nous quitter en février 2021, le journaliste Marcel Mendy, auteur d’un essai sur «La violence politique au Sénégal» (Editions Tabala, janvier 2006), suggère une définition : «La violence politique, écrit-il, est un acte ou un fait commis par un ou plusieurs individus contre un ou plusieurs individus, contre des biens meubles ou immeubles, à un moment donné et dans un espace donné, pour des raisons politiques.» Concernant les formes sous lesquelles la violence politique se manifeste, Marcel Mendy évoque «les assassinats, les agressions physiques et verbales, les incendies et/ou dégradations de biens publics ou appartenant à des hommes politiques». Partant de là, force est de reconnaître que la violence politique existe bel et bien au Sénégal, qu’elle a une histoire et que son histoire est aussi celle des assassinats politiques. C’est à Thiès même que le député et maire de Mbour, Demba Diop, président du groupe parlementaire de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) de l’Assemblée nationale, est tombé. Il était 10 heures du matin quand, le 3 février 1967, Demba Diop est sauvagement poignardé dans le parking de la préfecture de Thiès par un certain Abdou Ndafakhé Faye, à la suite d’une altercation avec un autre député UPS de Mbour, Jacques D’Erneville, appartenant à la tendance du député Ibou Kébé, mauvais perdant face à Demba Diop aux élections municipales de février 1966. Diop était la victime de ce que l’on appelle aujourd’hui encore une «guerre des tendances» internes aux partis politiques sénégalais et, singulièrement, au parti dominant qui exerce le pouvoir.

Invoquant les tendances, le président Wade explique : «Les tendances étaient une idée du génie Senghor pour tenir tout le monde. (…) Dans chaque localité, il y a le représentant officiel du parti élu par les militants et il y a son adversaire ; l’un représentant la tendance A et son adversaire la tendance B. (…) Cela veut dire que si vous allez dans une autre coordination, c’est un autre monsieur qui est en cause. Entre les tendances, il n’y avait aucun dénominateur commun. C’était une sorte de parcellisation du pouvoir par Senghor qui lui permettait de tenir tout le monde.» (Mendy, 2006). Poussant, plus tard, la «trouvaille senghorienne» à son paroxysme, Abdoulaye Wade transposa la tendance locale à sa relation avec les numéros 2 de son propre parti. Facteurs de violence interne aux partis politiques sénégalais, les tendances se métamorphosent sous la forme d’un face à face entre le parti dominant au pouvoir et son opposition. Un des exemples les plus révélateurs de ce phénomène est le face à face qui opposa Abdou Diouf à son challenger Abdoulaye Wade peu de temps avant les élections générales du 28 février 1988. S’adressant à Diouf, en ordre de bataille, par presse interposée, Wade avertit : «Je ne pose pas le problème en termes d’alternative pacifique ou non pacifique. Quand il faut faire une révolution, il faut la faire. (…). Si le pays veut l’alternance, il faut que l’alternance soit faite quels que soient les prix et les moyens.» (Mendy, 2006). On connaît la suite.

Après l’assassinat en mai 1993 du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, et l’amnistie (huée) des crimes politiques depuis 1983, le temps politique entre 1998 et 2010 est plutôt fait de séquences relativement apaisées. Se refusant à accepter d’être exclu de l’élection présidentielle de 2012 pour cause d’inconstitutionnalité établie de sa candidature pour un troisième mandat, le président sortant Abdoulaye Wade exhume la hache de guerre de février 1988. A cette date, il voulait une «révolution». En 2011, il annonce un passage en force, validant du coup l’hypothèse préélectorale d’une violence politique inouïe jamais observée au Sénégal.

Les pics ultra-violents et inattendus depuis 2021, année où l’essayiste Marcel Mendy tira sa révérence, montrent qu’une histoire sénégalaise des violences politiques est toujours en cours d’écriture sans que personne ne songe à la stopper.

A.A.DIOP

TRIBUNE DU WEEK-END par Abdoul Aziz DIOP : Une histoire sénégalaise des violences politiques

Invité par l’antenne de Thiès du mouvement Y en a marre pour l’animation du panel sur la «préparation de 2012 à la lumière de l’Histoire», nous avons introduit, le dimanche, 18 décembre 2011, au Palais des Arts, le thème : «Tradition électorale et violences politiques… » Face à la montée des périls consécutive au contentieux constitutionnel sur la recevabilité ou non de la candidature du président sortant Abdoulaye Wade pour un troisième mandat, l’hypothèse d’école de troubles postélectoraux se double de l’hypothèse préélectorale d’une crise politique majeure, faite de violences, bien avant même que les Sénégalais ne se rendent aux urnes pour élire leur président.

La subdivision du temps politique – qui n’est rien d’autre que le temps de la vie – en trois séquences (préélectorale, électorale et postélectorale) permet, à la lumière des faits politiques cumulés dans chacune des trois séquences, de déterminer laquelle d’entre elles doit faire l’objet d’un examen minutieux pour jeter les bases d’une régulation politique crédible, efficace et durable. Au Sénégal, l’hypothèse d’un fait politique postélectoral dominant, et que l’on pourrait qualifier de violent, si elle se vérifiait, donne une indication sur ce que devrait être une régulation politique en amont plutôt qu’en aval de la séquence politique dite électorale. Un jeune sénégalais, dont l’âge ne s’écarte pas trop de la moyenne d’âge des jeunes militants de Y en a marre, trouverait l’hypothèse intéressante dès lors qu’il scrute le passé, relativement récent, pour se faire une idée sur les formes de manifestation de la violence politique, son ampleur, ses conséquences et la manière de la juguler. Mais qu’est-ce que la violence politique ? Le journaliste Marcel Mendy, auteur d’un essai sur «La violence politique au Sénégal» (Editions Tabala, janvier 2006), suggère une définition : «La violence politique, écrit-il, est un acte ou un fait commis par un ou plusieurs individus contre un ou plusieurs individus, contre des biens meubles ou immeubles, à un moment donné et dans un espace donné, pour des raisons politiques.» Concernant les formes sous lesquelles la violence politique se manifeste, Marcel Mendy évoque «les assassinats, les agressions physiques et verbales, les incendies et/ou dégradations de biens publics ou appartenant à des hommes politiques». Partant de là, force est de reconnaître que la violence politique existe bel et bien au Sénégal, qu’elle a une histoire et que son histoire est aussi celle des assassinats politiques. C’est à Thiès même que le député et maire de Mbour, Demba Diop, président du groupe parlementaire de l’Union progressiste sénégalaise (UPS) de l’Assemblée nationale, est tombé. Il était 10 heures du matin quand, le 3 février 1967, Demba Diop est sauvagement poignardé dans le parking de la préfecture de Thiès par un certain Abdou Ndafakhé Faye, à la suite d’une altercation avec un autre député UPS de Mbour, Jacques D’Erneville, appartenant à la tendance du député Ibou Kébé, mauvais perdant face à Demba Diop aux élections municipales de février 1966. Diop était la victime de ce que l’on appelle aujourd’hui encore une «guerre des tendances» internes aux partis politiques sénégalais et, singulièrement, au parti dominant qui exerce le pouvoir.

Invoquant les tendances, le président Wade du PDS explique : «Les tendances étaient une idée du génie Senghor pour tenir tout le monde. (…) Dans chaque localité, il y a le représentant officiel du parti élu par les militants et il y a son adversaire ; l’un représentant la tendance A et son adversaire la tendance B. (…) Cela veut dire que si vous allez dans une autre coordination, c’est un autre monsieur qui est en cause. Entre les tendances, il n’y avait aucun dénominateur commun. C’était une sorte de parcellisation du pouvoir par Senghor qui lui permettait de tenir tout le monde.» (Mendy, 2006). Poussant, plus tard, la «trouvaille senghorienne» à son paroxysme, Abdoulaye Wade transposa la tendance locale à sa relation avec les numéros 2 de son propre parti. Facteurs de violence interne aux partis politiques sénégalais, les tendances se métamorphosent sous la forme d’un face à face entre le parti dominant au pouvoir et son opposition. Un des exemples les plus révélateurs de ce phénomène est le face à face qui opposa Abdou Diouf à son challenger Abdoulaye Wade peu de temps avant les élections générales du 28 février 1988. S’adressant à Diouf, en ordre de bataille, par presse interposée, Wade avertit : «Je ne pose pas le problème en termes d’alternative pacifique ou non pacifique. Quand il faut faire une révolution, il faut la faire. (…). Si le pays veut l’alternance, il faut que l’alternance soit faite quels que soient les prix et les moyens.» (Mendy, 2006). On connaît la suite.

Après l’assassinat en mai 1993 du vice-président du Conseil constitutionnel, Me Babacar Sèye, et l’amnistie (huée) des crimes politiques depuis 1983, le temps politique entre 1998 et 2010 est plutôt fait de séquences relativement apaisées. Se refusant à accepter d’être exclu de l’élection présidentielle de l’année prochaine pour cause d’inconstitutionnalité établie de sa candidature pour un troisième mandat, le président sortant Abdoulaye Wade exhume la hache de guerre de février 1988. A cette date, il voulait une «révolution». En 2011, il annonce un passage en force, validant du coup l’hypothèse préélectorale d’une violence politique inouïe jamais observée au Sénégal.

Les pics ultra-violents et inattendus depuis 2021 montrent qu’une histoire sénégalaise des violences politiques est toujours en cours d’écriture sans que personne ne songe à la stopper.

A.A.DIOP

TRIBUNE DU WEEK-END : Parlementarisme archaïque Par Abdoul Aziz DIOP

Depuis le 02 avril 2024, Bassirou D.D. FAYE est le Président de tous les Sénégalais pour avoir été élu au suffrage universel direct et égal. Incarnant à lui tout seul une institution de la République, le président FAYE est au-dessus de la mêlée depuis sa démission (symbolique) de son parti PASTEF.

En direction des Législatives anticipées du 17 novembre 2024, Ousmane Sonko mit fin à la coalition Diomaye Président au profit exclusif de PASTEF, se préparant ainsi à un contrôle politique absolu dont il se servira pour se donner les moyens de faire sa dictée perpétuelle au Président comme ce fut le cas plus d’une fois :

– refus du rituel de la DPG malgré l’invite du Président à se conformer à la Constitution ;

– limogeage de 2 présidents d’organe consultatif (CESE et HCCT) ;

–  dissolution de l’Assemblée nationale ;

– communication sur les finances publiques antérieure à la publication des résultats définitifs de l’audit correspondant par la Cour des comptes, juridiction supérieure habilitée ;

– digression téléguidée de la ministre de la Femme et des Solidarités, Maïmouna Dièye, assurant un cadre de PASTEF d’une protection en haut lieu dans le dossier rocambolesque de l’électrification de 1600 villages dans les régions de Saint-Louis, Louga, Kaffrine, Tambacounda et Kédougou ;

– lancement médiocrement enthousiasmant pour le Président de la stratégie nationale de développement Sénégal 2050 dont le condensé de 20 pages ne refuserait pas le titre de Plan Baobab  Émergent (PBE) au terme de 6 mois de palabres bien gardées sous l’imposant arbre de nos terroirs.

Le dérèglement institutionnel permanent est le symptôme de l’’anti-institutionnalisme pathologique de Sonko dont pâtira inéluctablement le chef de l’État en cas de contrôle de l’Assemblée nationale par le futur parti-État PASTEF.

Sonko (50 ans) est l’aîné de 6 ans plus âgé que Diomaye (44 ans). Si le jeunisme, érigé en véritable doctrine politique d’exaltation de la jeunesse au détriment des paliers vers le sommet de la pyramide des âges, l’emporte logiquement sur d’autres considérations, le plus jeune président du Sénégal depuis 1960 ne devrait rien craindre. Or tout le monde sait que Sonko ne l’entend pas cette oreille, préférant occuper tout le terrain au détriment de son cadet trop bien élevé pour jaser comme son premier ministre.

Pour tout dire, une majorité absolue pour Sonko garantit à ce dernier une hyperpuissance politique dont il usera sans garde-fous à son profit exclusif.

Le recul démocratique que constitue ce scénario devrait être assez alarmant pour les électrices et les électeurs du 17 novembre 2024 pour les inciter à créer, par leur vote, l’équilibre des principales forces en lice dont l’Assemblée nationale, cruellement balafrée par les deux premières années de la XIVe législature, a vraiment besoin pour jouer pleinement son rôle d’impulsion du débat démocratique dans un véritable régime de séparation des pouvoirs. En cas de confusion des pouvoirs du fait de l’hégémonie de PASTEF, la Constitution n’aura d’existence que sur le papier, faisant de la XVe législature celle d’un parlementarisme archaïque et fatal pour les tissus politique, économique et social et culturel de la Nation.

A.A.DIOP

TRIBUNE DU WEEK-END Par Abdoul Aziz DIOP : Il y a vingt ans, la tragédie du Joola

Les 23 et 24 mars 2002, le Collectif des cadres casamançais se réunit pour plancher en urgence sur ce qu’il appela la «crise sénégalaise de Casamance». A l’occasion de cette réunion, le point de vue – relaté par l’ancien quotidien Tract – du Collectif sur la crise était on ne peut plus clair : «(…) la revendication indépendantiste défendue par le mouvement séparatiste depuis bientôt vingt ans est rejetée par la quasi-totalité de la région naturelle de Casamance.» Aux yeux des participants à la réunion, la crise pose «le problème de la gestion des spécificités dans une nation, la nécessité d’un plan d’urgence humanitaire, la continuation des investissements, une action de sensibilisation individuelle et collective tant dans les familles, les quartiers et les villages sur toute l’étendue du pays».

Lorsqu’il agit seul, un décideur risque de ne voir, dans ce qui vient d’être rappelé, qu’un quitus pour anéantir la rébellion. L’ancien président Abdoulaye Wade préféra, lui, agir seul avant même que quitus ne lui soit donné en agitant l’idée d’«(…) une Haute autorité pour la Casamance qui peut servir de dispositif de gestion à plein temps du dossier casamançais». En s’opposant à l’initiative présidentielle, jugée inopportune, l’ancien maire socialiste de Ziguinchor, Robert Sagna, exaspéra le nouveau maître (incontesté) du «nouveau» Sénégal. L’exaspération atteignit son paroxysme lorsque le juge des élections scella la victoire de M. Sagna à l’issue des élections locales du 12 mai 2002, l’année où tout s’accéléra. Dans quel état d’esprit se trouvait celui qui, dans l’opposition, soutenait pouvoir régler la crise casamançaise en 100 jours seulement ? Cet état d’esprit n’augurait naturellement rien de bon à partir du moment où 720 jours après sa brillante élection du 19 mars 2000, Abdoulaye Wade s’aperçut que la paix claironnée n’était toujours pas au rendez-vous.

Wade jouait déjà à faire peur à ceux qui voyaient dans son allégeance ostentatoire au chef spirituel de la confrérie musulmane à laquelle il dit appartenir la cause probable d’un affrontement de type communautariste pouvant déboucher sur une guerre civile aux soubassements politico-religieux. Cette sérieuse appréhension nous poussa à écrire dans une tribune parue dans le quotidien Walfadjri, daté du 17 septembre 2002 – 10 jours seulement avant le naufrage du Joola – que «nous ne voulons pas du jour où l’inattendu oblige les patriotes à réunir les preuves contre la soif de puissance et la cupidité pour faire la chronologie de la lâcheté et porter plainte à Bruxelles ou ailleurs».

La tragédie humaine que nous redoutions en écrivant cela se produisit dans la nuit du 26 au 27 septembre 2002 suite au naufrage du Joola. Un mois après la tragédie (annoncée), le coordonnateur du Collectif des avocats des familles sénégalaises des victimes, le bouillant El Hadj Diouf, monte au créneau et déclare que «L’État a tué». «L’action civile doit être déclenchée car la vie appartient à la société», disait-il. Selon l’avocat, «(…) l’enquête demandée par le chef de l’État et qui publiera ses résultats à la fin du mois [d’octobre] reste dans le sillage de l’administration. L’État veut manipuler l’opinion et éviter la procédure pénale qui engage la liberté des preuves et peut éviter des souffrances inutiles aux familles de victimes». Maître Diouf craignait que l’État du Sénégal (responsable du naufrage) fasse «(…) des familles des victimes des esclaves et des mendiants à son bon vouloir (…) en indemnisant les ayants droit comme bon lui semble». C’est ce qui, hélas, se produisit à la place de «l’exercice régulier de la justice». L’auxiliaire de justice El Hadj Diouf – devenu membre d’un des collectifs des avocats de l’État dans le différend qui l’oppose au juge français Jean-Wilfried Noël à l’origine des mandats d’arrêt internationaux contre l’ancien Premier ministre Mame Madior Boye, l’ancien ministre des Forces Armées Youba Sambou et d’autres personnalités civiles et militaires présumés responsables de la tragédie – se souvient-il de sa verve rapportée huit ans plus tôt par le très sérieux Sud Quotidien ? Plutôt coutumier de ce genre de reniement, Maître Diouf devint plus tard l’avocat du fils du ministre de la Justice dans l’affaire Thierno Ousmane Sy/La Gazette (l’hebdomadaire fondé en mars 2009 par l’ancien journaliste d’investigation Abdou Latif Coulibaly).

Les rapporteurs sénégalais, dont Maître El Hadj Diouf suspecta les intentions bien avant son ralliement à la cause de l’État (tueur), se montrèrent plutôt dignes de ce que l’on attendait d’eux. Dans leur conclusion générale, ils écrivent que «le ministre de l’Equipement et des Transports qui était au courant « des manquements constatés au plan des titres de sécurité et d’autre part du non–renouvellement depuis 1998 du permis de navigation délivré à ce navire » n’a pas, cependant, hésité à prendre part au voyage « inaugural » du 10 septembre 2002 en compagnie de son collègue des Forces Armées : ce qui a fait dire au Chef d’État-major de la Marine nationale qu’il avait la « caution morale » des responsables des services de l’inspection des navires». Quant au «ministre des Forces Armées qui était l’autorité politique responsable des services chargés de l’exploitation du « Joola », [il] a reconnu n’avoir jamais eu, même au moment du « voyage inaugural » du 10 septembre 2002, à s’interroger sur la situation du navire par rapport aux titres de sécurité. Il a déclaré s’être fié aux affirmations du Chef d’État-major de la Marine selon lesquelles le navire était en « règle ». Et pourtant l’attention de ce même ministre a tout le temps été attirée par son collègue de l’Equipement et des Transports sur la situation irrégulière et insécurisante du « Joola »». C’est notamment là où l’une des conclusions générales de la contre-enquête française recoupe celle de l’enquête sénégalaise : «les autorités sénégalaises (…), concluent les experts français, n’ont pas adopté une conduite responsable à l’égard du risque encouru par le Joola participant ainsi (…) à la mise en danger des équipages et des passagers». Tout en attirant l’attention de son collègue des Forces Armées sur les «manquements constatés», le ministre de l’Equipement et des Transports prend quand même part au voyage inaugural. Qui ne voit pas là une main autre que celle du ministre de tutelle ? Les experts français ne s’y trompent pas, eux, lorsqu’ils  «se posent la question de savoir si le Chef du Bureau de la sécurité maritime n’a pas agi sur ordre en fermant les yeux sur les défauts constatés». Sur ordre de qui ? L’intelligence humaine suffit à trancher ce débat.

«L’État est responsable», admet tout le monde depuis le jour de la tragédie. Mais cet État avait un chef qui se déclara «l’ultime responsable». Mais responsable de quelle faute entraînant la non- assistance (avérée) à personnes en danger ? La punition d’une région récalcitrante ? L’anéantissement programmé d’une identité rebelle ? L’incurie ? Dans tous les cas, la justice (des hommes) doit être rendue, les sentences prononcées et les peines purgées quel que soit le rang du donneur d’ordre ultime. C’est en cela que l’initiative, il y a maintenant plusieurs années de cela, du juge français – cristallisant les espoirs des familles des victimes – était salutaire et l’activisme des avocats sénégalais de l’État plutôt suspect. On connaît la suite. Les mandats d’arrêt internationaux furent abandonnés. Pour combien de temps encore? Répondant aux questions d’un journaliste portugais, le président Wade reconnut que le juge Jean-Wilfried Noël visait, en dernier ressort, la personne du président de la République du Sénégal à travers les mandats d’arrêt lancés. Le défunt ymaire de la commune d’arrondissement Dalifort et président de l’Association nationale des familles des victimes du Joola, Idrissa Diallo (Paix à son âme), était donc bien inspiré quand il déclarait, la veille de la commémoration du huitième anniversaire du naufrage du bateau, qu’«on attend 2012 pour en finir avec Wade, et le traîner devant les tribunaux pour l’affaire du Joola». On est maintenant en 2024 et toujours rien.

Encore au fond de l’océan, le Joola n’emporta pas avec lui la crise de la Casamance. Le renflouement du bateau y suffirait-il ? Osons le renflouement !

A.A.DIOP

TRIBUNE DU WEEK-END : L’historicité des griefs contre la presse par Abdoul Aziz DIOP

A quelques mois d’une élection présidentielle – celle du 24 mars 2024 ne fait pas exception – la  presse écrite, l’Internet,  les radios et télévisions privées prennent goût, à l’instar de l’audiovisuel public, à l’inféodation à une chapelle, à un personnage, à une image ou à un slogan. Et les rédactions, démobilisées par le parti pris,  oublient les cinq bonnes questions que les bons journalistes – en conformité avec la recommandation des auteurs, H. Schulte et P. Dufresne, de la Pratique du journalisme (Nouveaux Horizons, 1999) doivent se poser au sujet des prétendants à un mandat électif le plus couru : «Quel est leur passé ? Qu’ont-ils fait de bon dans leur vie publique et dans leur vie privée ? Que dit leur programme et cela est-il compatible avec leur passé ? Quel genre de comportement ont-ils ? Quelle est la philosophie de chacun ? Qui les soutient et pourquoi ?»

Devrions-nous demander à chacun des quotidiens sénégalais la revendication politique, économique, sociale ou culturelle (légitime) qui se cache derrière les titres ou inspire le traitement auquel est soumise l’information avant qu’elle ne soit portée à la connaissance du public ? Peut-être pas ! En tout cas, les titres laissent très rarement transparaître une éthique, une idéologie ou un mouvement d’idées. A la prétendue neutralité correspondent des lignes éditoriales insaisissables. La généralité (imprécise) n’est-elle pas le propre des informations générales ? Beaucoup moins foisonnante depuis 2012,  la presse people fait, elle, le pari, peu flatteur, de «l’info sans infos». Mais on comprend encore moins les anciennes rédactions des gazettes people lorsqu’elles traitent avec légèreté de sujets aussi peu légers que les Finances publiques et tranchent le débat avant même de l’avoir suscité.

Le dérapage people se nourrit du dumping. On vend ! Les hebdos, plutôt rares, renvoient à un horizon dont les contours sont encore flous. Pour rappel, un hebdomadaire, au titre un peu trop sérieux aux yeux de son propriétaire, aurait changé de nom s’il n’y avait personne pour faire l’éloge des choses sérieuses au moment où la décision de travestir le journal avait été prise. Une idée reçue accrédite la thèse selon laquelle les Sénégalais préfèrent les titres qui vendent aux titres qui renseignent sur la propension d’un journal à protéger la société contre les assauts de l’Etat et du marché. Mais aucune étude sérieuse n’existe, qui conforte cette prénotion.

Les pères fondateurs du quotidien français Libération montrèrent à travers le choix d’un titre tout le respect que leur inspirait une certaine histoire de France. Les souscriptions des lecteurs, en faveur du journal en difficulté, montrent qu’il n’y a jamais eu de reniement absolu.

A la Une des journaux sénégalais, la photo recherchée et redondante d’un solvable suffit au déséquilibre et au marketing politique déloyal. La démocratie sort affaiblie de la saturation. En France, l’observatoire des médias Acrimed (Action-Critique-Médias) constatait il n’y a pas trop longtemps «une sur-représentation de deux personnalités omniprésentes : M. Sarkozy et Mme Royal» et faisait remarquer que sur «28 éditions, Nicolas Sarkozy est apparu 20 fois à la une du Monde et Ségolène Royal 10 fois». Chez nous, on se demande, depuis peu, à quoi sert encore le Comité pour le respect de l’éthique et de la déontologie (CRED) ou ce qu’il en reste. L’immobilisme est naturellement de mise lorsque le critique des médias et le conseiller en communication ne font plus qu’un.

L’analyse, qui éclaire les faits, a le même statut que les faits. Mais – nous rétorque-t-on souvent – la compétence fait cruellement défaut dans des médias conviés à démêler l’affairiste de l’homme politique. La sur-médiatisation d’un solvable est le fait de médias qui surestiment le pouvoir auquel on les identifie en participant au polissage d’une mauvaise image. Sur la bande FM, bon nombre de polisseurs ne refuseraient d’ailleurs pas les services d’un percussionniste. Mais il est peu probable qu’un virtuose sorti de l’école d’un tambour-major se prête au jeu de piètre qualité éthique et déontologique.

Dans son avis, daté du 5 juillet 2004, qui «couvre les deux premiers trimestres de l’année 2004 (janvier-juin 2004)», le défunt «Haut conseil de l’audiovisuel relève (…) pour le déplorer que la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise (RTS) n’a pas souvent, durant la même période, offert aux formations politiques de l’opposition l’occasion de se prononcer avec sa programmation actuelle qui fait très largement place à des pages spéciales, à des reportages, publi-reportages et autres émissions favorables au courant majoritaire». Tout s’est aggravé depuis en dépit du fait « »qu’aux termes des articles 14 à 18 non abrogés de la loi n° 92-57 du 03/02/1992 la Radiodiffusion Télévision Sénégalaise à l’obligation » (…) d’organiser et de diffuser, au moins une fois par mois, une grande émission-débat portant sur un sujet d’actualité, et reflétant le pluralisme des opinions au Sénégal». La RTS ne respecte ni nos lois ni nos mœurs.  L’alternance audiovisuelle est presque toujours un bide. Les radios privées, elles, se font remonter les bretelles lorsque la tentation du rétablissement d’un équilibre rompu ailleurs provoque un nouveau déséquilibre. De ce côté-là, «il serait temps, ainsi que le suggérait Pierre Bourdieu, que les journalistes apprennent à reconnaître qu’un propos peut être très important intellectuellement ou politiquement, lors même qu’il émane d’un simple citoyen inconnu ou isolé, ou, au contraire, tout à fait insignifiant, lors même qu’il émane d’un homme politique « important » ou d’un porte-parole autorisé d’un « collectif », ministère (…) ou Parti». Si, à titre d’exemple, les émissions politiques (comme «Objection» sur Sud FM, «Opinion» sur Walf FM et «Grand jury» sur la RFM) étaient de véritables espaces publics, leurs animateurs devraient en être les gardiens et non les juges.

L’incompétence des médias serait doublée d’une infamie médiatique si «les cœurs [des journalistes étaient] à gagner».. Déjà nombreux sont celles et ceux qui se demandent ce qu’il reste de l’indépendance d’un reporter qui voyage à bord des véhicules d’un politicien, se restaure aux frais d’un de ses lieutenants, enregistre tout juste l’élément qu’on lui demande de sauvegarder et empoche au passage quelques billets de banque. Ce n’est pas en achetant aujourd’hui les journalistes qu’on les extirpera, après les avoir ligotés, des griffes d’un élu prédateur. Il nous arriverait n’importe quoi si des voix, plus autorisées que la nôtre, ne s’élevaient pas maintenant pour sauver le métier de journaliste.

Déjà en proie au dépeçage annoncé par le nouveau régime pour cause d’impôts et de taxes impayés, la presse répond à sa propre crise par la journée sans presse, plutôt réussie, du mardi 13 août 2024, forçant le pouvoir politique à envisager un «dialogue rénové» pour un retour à la normale démocratique. Au même moment, bon nombre de citoyens,  proches ou sympathisants du duo Diomaye-Sonko,  encouragent les deux têtes de l’exécutif à ne rien céder pour punir une presse dont les griefs contre elle ne peuvent être compris que dans l’historicité supra de leur énumération.

A.A.DIOP

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