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Le monde / Afrique

40 ANS DE LUTTE CONTRE LE VIH EN AFRIQUE: De la tragédie à l’espérance

La commémoration des 40 ans de la découverte du virus d’immunodéficience
humaine (VIH) invite à jeter un regard rétrospectif sur quatre décennies de lutte
contre ce fléau dans l’Afrique au sud du Sahara. Cette région a payé le plus lourd
tribut à la pandémie.
Au début des années 2000, les trois quarts des adultes mourant du sida et 80 % des
enfants vivant avec le VIH étaient des Africains. La création en 2001-2002
du Fonds mondial, à l’initiative du secrétaire général de l’ONU, le Ghanéen Kofi
Annan, va contribuer à l’accès universel au traitement et à désamorcer la bombe du
sida. Lors du lancement officiel du Fonds mondial à New York en 2001, moins de
1 % des patients africains ont accès aux traitements. À cette époque où des
chercheurs militants parlent de « crime contre l’humanité » pour dénoncer l’apathie
de la communauté internationale face à la pandémie, la naissance du Fonds
inaugure une réponse d’envergure au niveau mondial.

Aujourd’hui, l’Afrique subsaharienne abrite 65 % du nombre total de personnes
vivant avec le VIH dans le monde, soit 25,6 millions d’individus sur 39 millions.
Le continent a également connu des progrès non négligeables en matière d’accès
au traitement : les trois quarts des personnes vivant avec le VIH en Afrique
subsaharienne suivent désormais un traitement antirétroviral.
Au cœur des drames causés par la maladie dite du syndrome d’immunodéficience
acquise (sida), l’Afrique subsaharienne a aussi contribué à faire avancer la
connaissance et à générer des mobilisations collectives inédites, associatives et
politiques, certains de ses médecins et chercheurs ayant mené leurs combats
jusqu’au sommet des programmes internationaux. La lutte contre le sida en
Afrique représente un combat global, transnational, auquel ont significativement
contribué quelques personnalités parfois insuffisamment connues.
Premières années : le tout-prévention
Le virus d’immunodéficience humaine est officiellement découvert en 1983 par
une équipe de l’Institut Pasteur (pour cela, Françoise Barré-Senoussi et Luc
Montagnier seront récompensés par le prix Nobel de médecine 25 ans plus
tard, après moult controverses). Initialement diagnostiqué en France et aux États-
Unis dans les milieux gays, le VIH va se propager et devenir une pandémie.
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L’Afrique subsaharienne va vite devenir la région du monde la plus touchée par
cette maladie. La mise à disposition du test diagnostique Elisa intervient en 1985 et
la majorité des pays peut déclarer officiellement les premiers cas de sida. Pour
autant, quelques cas sont détectés avant la généralisation du test Elisa grâce à des
réseaux d’instituts de recherche, notamment la présence d’antennes américaines du
Center for Disease Control (CDC) dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, au
Sénégal et en Côte d’Ivoire par exemple. Les premiers cas sont également
diagnostiqués au sein de la communauté homosexuelle en Afrique du Sud. Des
ONG vont aussi permettre de diagnostiquer des cas de sida, comme la Croix-
Rouge dans l’ex-Zaïre.
Des médecins travaillant sur les maladies infectieuses dans les hôpitaux des
grandes villes africaines seront les précurseurs de la lutte contre le sida dans leurs
pays, en mettant en place des comités de suivi ou des ersatz de veille
épidémiologique, avec ou sans l’aide de partenaires internationaux, suivant les
concours de circonstances. Ils deviendront des fers de lance officiels de la riposte
au sida dans leurs pays lorsque l’OMS mettra en place le premier programme
mondial de lutte contre le sida, le Global Programme on AIDS (GPA), en 1986.
Sous la direction d’un professeur de santé publique de l’Université de Harvard,
Jonathan Mann, le GPA va inciter à la mise en place des Programmes nationaux de

lutte contre le sida (PNLS) en Afrique. Le Sénégal en Afrique de l’Ouest et
l’Ouganda en Afrique australe seront parmi les premiers pays à mettre en place ces
PNLS, dès 1986. Ils vont également illustrer, de manière différente, le rôle du
leadership politique et le lien entre les sommets des États et les associations.
En l’absence de traitements efficaces et du fait des moyens modiques affectés à la
riposte dans cette première décennie des années sida, les PNLS vont être tournés
vers le « toute prévention ». La thématique des « populations à risque » va orienter
le ciblage des campagnes de prévention : les « prostituées », rebaptisées plus tard
« les professionnelles du sexe » ; les transporteurs par car, réputés comme étant
vulnérables au « risque sida » du fait de leur surexposition aux relations sexuelles
non protégées ; et plus largement « les jeunes ».
Après une petite période de relativisation ou de déni politique de la maladie, les
slogans vont passer à la vitesse supérieure dès la fin des années 1980. Ils mettent
alors en avant la lutte contre « le vagabondage sexuel » et s’accompagnent de
discours catastrophistes. Les campagnes de prévention affichent des images de
malades du sida en phase terminale accompagnées du message abrupt : « Le sida
tue. » Ces pratiques vont se heurter à la réalité cognitive des représentations des
plus jeunes : personne ne s’infecte avec des malades squelettiques en phase
terminale.
Les précurseurs africains évoqués plus haut vont avoir un rôle pionnier et des
carrières connectées aux réseaux internationaux, entre hasard et nécessité.
L’histoire du jeune docteur Pierre M’Pelé est aussi emblématique qu’elle est peu
connue au-delà des spécialistes.
Pierre M’Pelé du Congo-Brazzaville, au cœur du combat
initial
Après des études de médecine à la faculté des sciences de la santé de Brazzaville,
en République du Congo, Pierre M’Pelé poursuit sa formation à Paris, dans un
service de maladies infectieuses et de médecine tropicale. Au sein de l’Hôpital de
la Salpêtrière à Paris, il intègre le département de médecine tropicale et de santé
publique au moment même où apparaissent les premiers cas de sida en France.

Sous la direction du professeur Marc Gentilini, il sera confronté à cette
« nouvelle » maladie qui ne faisait partie ni de son projet de formation ni des
activités de ce service. Il va donc vite découvrir l’expérience de la prise en charge
du VIH/sida en même temps que ses pairs médecins, notamment les docteurs Willy
Rozenbaum et Jean-Claude Chermann et leur patron Marc Gentilini.
C’est à partir d’un prélèvement effectué par Willy Rozenbaum sur le ganglion d’un
patient que Françoise Barré-Senoussi va isoler ce qui sera désigné comme étant le
VIH. Pierre M’Pelé est présent dans l’équipe, avec laquelle il travaille au
quotidien. Dans un ouvrage publié en 2019, il revient sur l’histoire de la
découverte du VIH :
« C’est Willy qui orienta les biologistes de l’Institut Pasteur à la recherche
étiologique d’origine virale de la maladie chez BRU, les trois premières lettres de
ce jeune malade français, fébrile, épuisé mais sympathique, admis dans le service
depuis quelques semaines et dont le ganglion adressé à l’équipe du Pr Luc
Montagnier permettra la découverte en 1983 du rétrovirus “LAV-BRU”
responsable du sida. Bru mourut en 1988 […]. »
Au-delà du cycle de la découverte du VIH, le docteur M’Pelé effectuera une autre
découverte dont sa paternité est connue et peu reconnue en tant que telle.
Il commence à distinguer des symptômes spécifiques aux patients originaires
d’Afrique, précisément du Zaïre (actuelle République démocratique du Congo) et
du Congo-Brazzaville. Par rapport aux autres patients, il révèle une prédominance
de la coïnfection avec la tuberculose et une faible prédominance chez les patients

africains d’une pathologie pulmonaire fréquente chez les autres patients,
le Pneumocystis carinii.
La revue de référence Lancet ne publiera pas son article alors que ces spécificités
vont être reconnues par ailleurs autour de ce qui sera appelé « le sida africain »,
dont la présentation a été effectuée en 1985 lors d’une conférence organisée à
Bangui (en République centrafricaine), sous la houlette de Françoise Barré-
Senoussi. M’Pelé explique que le Lancet n’a pas publié son article, « peut-être
parce que venant d’un Africain inconnu, premier sur la liste des auteurs sur ce
constat qui différencie le sida des Américains, des Européens de celui des
Africains et c’est dommage et injuste ».
Fort de cette expérience, M’Pelé rentre à Brazzaville en juin 1986 et devient le
« Monsieur sida du Congo » comme d’autres pionniers africains, riches de leurs
collaborations internationales dans leurs pays respectifs.

Abdourahmane Sow, un précurseur de Dakar à Genève
Dans la majorité des pays africains, les premiers cas de sida sont diagnostiqués à
partir de 1985, date de la mise à disposition par l’OMS des tests Elisa. Dans
certains pays, comme le Sénégal, des relations entretenues avec les partenaires
internationaux, dont le Center for Disease Control, vont permettre de reconnaître
plus tôt la présence du VIH. C’est dans cette logique qu’à l’issue d’une recherche
clinique menée par une équipe sénégalaise du Pr. Souleymane M’Boup de l’hôpital
Le Dantec à Dakar, une équipe française et une équipe américaine révèlent dès
1984 l’existence en Afrique de l’Ouest d’un second sous-type du VIH, le VIH2,
diffèrent du sous-type 1 (le VIH1, le plus répandu dans le monde) et présent au
Sénégal, au Cap-Vet et en Guinée-Bissau. Le VIH2 se révèle moins pathogène et
moins virulent que le VIH1.
Abdourahmane Sow est un médecin formé à la faculté de médecine de Dakar puis
à Paris, où il est lauréat du concours d’agrégation en maladies infectieuses et
tropicales. Il fait partie des jeunes médecins qui diagnostiquent les premiers cas de
sida au Sénégal, au CHU de Dakar. Il prend la tête de la lutte contre le sida en tant
que chef du service des maladies infectieuses de Dakar en 1986. Il est appelé à
Genève en 1989, suite à la création du Global Programme on AIDS en 1986. Ce
programme est dirigé par un professeur de santé publique issu de l’école de santé
publique de Harvard, le professeur Jonathan Mann, qui s’entoure d’une petite
équipe d’une dizaine de spécialistes venus du monde entier.
Le Pr. Sow s’inscrit dans cette dynamique internationale où il est question de
répondre à un péril mondial avec des moyens thérapeutiques d’une grande
modicité jusqu’au milieu des années 1990. Au sein de cette équipe, il va
s’impliquer dans la mise en place des PNLS en Afrique, notamment au Togo, au
Bénin et au Gabon. Il restera au GPA jusqu’à la fin de cette structure, qui sera

remplacée par l’organisation inter-agences des Nations unies sur le sida
(ONUSIDA) en 1996.
Au Sénégal, dont les bases de la riposte au sida ont été fixées par le Pr. Sow, la
relève sera assurée par le docteur Ibra Ndoye, qui restera à la tête du PNLS
sénégalais de 1986 à son départ à la retraite en 2014. Un record de longévité en
Afrique dans la lutte contre le sida, et un mandat marqué par la mise en place dès
2002 du premier programme d’accès aux ARV en Afrique francophone.
Une distribution inégale du VIH en Afrique

Prévalence du VIH en Afrique, 2021. Cliquer pour zoomer.  Polaert/Wikipedia , CC BY-NC-SA
À la fin des années 1980, explique Philippe Denis, « l’épidémie était solidement
installée dans les territoires “pionniers” (Côte d’Ivoire, République centrafricaine,
Rwanda, Burundi, Ouganda, Tanzanie, Zambie, Zimbabwe)_ ». Il poursuit : « La
décennie 1990 vit l’embrasement de l’Afrique australe. Alors que le nombre de cas
nouveaux semblait plafonner dans plusieurs sites d’Afrique centrale, orientale et
occidentale, il explosait au sud où des taux inégalés étaient atteints. »
En 2003, la géographe française Jeanne-Marie Amat-Roze montre de manière
magistrale cette distribution et cette progression inégales de la maladie sur le
continent africain. L’Afrique australe va constituer l’épicentre de la maladie.
L’Afrique du Sud compte à ce jour près de 9 millions de personnes vivant avec le
VIH, mais également un des taux d’accès aux médicaments parmi les plus élevés
en Afrique.
Du sida sans médicaments à l’accélération de l’accès aux
antirétroviraux en Afrique
L’annonce officielle de l’efficacité des molécules antirétrovirales (ARV), les
trithérapies, intervient lors de la Conférence mondiale sur le sida à Vancouver en

1996, peu après la promulgation, en janvier 1995, de l’Accord sur les aspects des
droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ADPIC) qui protège
ces médicaments sur 20 ans. L’ADPIC est la première résolution adoptée par
l’Organisation mondiale du Commerce, créée en 1994. La bonne nouvelle de
l’efficacité des ARV rend amers les militants pour l’accès aux médicaments et aux
soins en Afrique. Le slogan employé ces militants lors de la Conférence mondiale
de Genève en 1998 est clair : « Les médicaments sont au Nord, les malades sont au
Sud. » C’est la thématique du « droit contre la morale ».
Après bien des atermoiements et de vraies-fausses concessions des laboratoires
pharmaceutiques sur l’élargissement de l’accès aux médicaments pour les patients
du Sud, dont la Côte d’Ivoire et l’Ouganda vont être les “pilotes” en Afrique dans
les années 1990, le combat va se poursuivre au niveau international.
L’ambassadeur américain à l’ONU, Richard Holbrooke, inscrit la question du sida
en Afrique à l’agenda du Conseil de Sécurité en janvier 2000. L’oligopole de 39
laboratoires pharmaceutiques qui avaient déposé des plaintes contre le Brésil et
l’Afrique du Sud pour non-respect des brevets est contraint de retirer ses plaintes
en avril 2001 sous la pression des ONG internationales, dont MSF et Act’Up, qui
rebaptisent les laboratoires en question « Marchands de mort ».
Sous la houlette du secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, le Fonds
mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose est fondé en 2001 et
les premières subventions sont accordées avec les contributions des pays du G8 en
2002 à Gênes en Italie. Les copies des médicaments antirétroviraux fabriqués avant
2005 peuvent être distribuées via des financements du Fonds mondial et le passage
à l’échelle peut devenir réalité sur le continent africain. Entre 2002 et 2012, la
prévalence et la mortalité liées au VIH chutent de manière significative en Afrique.
Et le Fonds mondial peut se targuer d’avoir sauvé plusieurs dizaines de millions de
vies depuis sa création. Le programme américain, lancé en 2003 sous la houlette du
président George W. Bush ( President Emergency Plan fo AIDS relief – PEPFAR ),
suit la cadence. Les présidents Lula et Chirac lancent en 2006 un fonds
complémentaire, l’Unitaid.

Les années 2000-2010 vont représenter une remarquable inversion de paradigme
qui rend effective la prise en charge des patients africains vivant avec le VIH.
Dans ce registre, le président du Botswana, Festus Mogae, va incarner un modèle
achevé d’engagement pour l’accès universel aux ARV. Il lance en 2000 le premier
programme d’accès gratuit aux ARV en Afrique avec 80 % des financements
domestiques. C’est « l’État militant ».
Reste la question des maladies non transmissibles qui posent la question de « la
santé globale ». Celle-ci vise à promouvoir, au niveau international, l’inscription
sur les agendas internationaux des principaux chocs épidémiologiques et des
questions majeures de santé. Autrement dit, il s’agit de rompre avec la

« biopolitique » définie par Michel Foucault comme « le droit de faire vivre et de
laisser mourir » pour privilégier ce que Didier Fassin nomme « les politiques de la
vie ». C’est encore un autre chantier. Source : The Conversation

Dakartimes


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