En décembre 2024, en réponse à une demande insistante de l’ancien Ministère de l’économie, du plan et de la coopération du Sénégal, datée février 2024 (bizarrement mentionné 29 février 2025 -futur- sur la lettre officielle), Les Nations Unies ont engagé le processus de sortie du Sénégal de la catégorie des Pays Moins Avancés sur la période 2025-2029. Ceci, après que le pays a franchi les seuils requis en matière de revenu national brut par habitant, d’indice des actifs humains et d’indice de vulnérabilité économique.
Présentée comme une validation des progrès économiques réalisés sous le Plan Sénégal Émergent (PSE) par l’ancien régime, cette graduation, en réalité, révèle l’échec du modèle de transformation structurelle promu depuis plus d’une décennie. Loin d’être le fruit d’un changement profond du tissu productif et de la compétitivité nationale, cette évolution repose sur des seuils techniques qui masquent les faiblesses persistantes de l’économie. Les performances en matière de croissance, d’industrialisation, d’emploi et d’intégration aux chaînes de valeur mondiales restent largement en deçà des ambitions initiales du PSE. En analysant les indicateurs économiques et sociaux, il apparaît que cette sortie des PMA est davantage une décision statistique qu’un réel bond vers l’émergence et pose la question de la soutenabilité du modèle économique adopté de 2014 à 2024 à travers le PSE.
Le Revenu National Brut par habitant a dépassé le seuil de graduation fixé à 1 306 USD pour atteindre 1 558 USD en 2024. Cette progression est indéniable, mais elle n’est pas le reflet d’une montée en productivité. La croissance économique observée depuis dix ans a été largement tirée par des investissements d’infrastructures massifs financés par l’endettement, sans effet significatif sur la transformation du tissu productif. La contribution du secteur industriel à la valeur ajoutée reste marginale, avec une part de l’industrie manufacturière inférieure à 9 % du PIB, bien loin des 30 à 40 % observés dans les économies émergentes. La dynamique de croissance repose toujours sur des secteurs traditionnels à faible valeur ajoutée, notamment les services et les exportations de matières premières, sans une montée en gamme technologique qui garantirait un changement structurel durable.
L’Indice des Actifs Humains a progressé pour atteindre 66,7 en 2024, juste au-dessus du seuil de sortie fixé à 66,0. Cette amélioration repose principalement sur des gains progressifs en matière de santé et d’éducation, mais les avancées restent limitées. Le taux de scolarisation dans l’enseignement secondaire, qui stagne à 31 %, reste l’un des plus faibles d’Afrique de l’Ouest et traduit une incapacité à préparer une main-d’œuvre compétitive pour une économie fondée sur la connaissance. L’alphabétisation des adultes plafonne à 57,7 %, ce qui freine la montée en compétence et la transition vers des emplois plus qualifiés. L’Indice de Développement Humain du Sénégal, à 0,517 en 2022, classe le pays 169ᵉ sur 190 et illustre à merveille un retard structurel qui n’a pas été corrigé par les réformes du PSE. Loin d’un signal de transformation réussie, cette évolution indique ainsi une progression lente et insuffisante pour assurer une trajectoire vers l’émergence.
L’Indice de Vulnérabilité Économique, à 42,3 (tendance décroissante requise), demeure largement au-dessus du seuil de sortie de 32,0, ce qui révèle une exposition persistante aux chocs économiques et climatiques. Notre économie fortement dépendante du secteur primaire peu performant ne dispose pas d’une base industrielle solide capable d’absorber les fluctuations des marchés mondiaux. La balance commerciale est structurellement déficitaire, avec un déficit dépassant 4 000 milliards de FCFA en 2023 qui illustre une dépendance excessive aux importations de biens manufacturés et une intégration limitée dans le commerce international. Le pays peine à se positionner sur des segments à haute valeur ajoutée, ce qui le rend vulnérable aux perturbations extérieures et limite son potentiel de croissance autonome.
L’endettement public a explosé pour atteindre 73,4 % du PIB en 2023 et 80% en 2024, après une décennie de recours intensif aux emprunts extérieurs pour financer de grands projets d’infrastructure. Si ces investissements ont modernisé certaines infrastructures, leur impact sur la transformation économique reste très limité. L’efficacité des investissements publics, mesurée par l’ICOR (Incremental Capital Output Ratio), est évaluée à 6,7, ce qui signifie que pour chaque unité de croissance générée, l’investissement nécessaire est bien plus élevé que dans des économies comparables, telles que la Côte d’Ivoire où l’ICOR est inférieur à 3,5. Cette faible rentabilité des investissements traduit un mauvais ciblage des priorités de développement et concentre les ressources sur des infrastructures sans impact immédiat sur la productivité et la compétitivité du secteur privé.
Le marché du travail reste extrêmement précaire, avec plus de 90 % des emplois relevant du secteur informel, où les travailleurs n’ont ni protection sociale, ni stabilité économique. La création d’emplois formels n’a pas suivi le rythme de la croissance démographique de 2,7%, ce qui a aggravé le chômage des jeunes, l’immigration clandestine suicidaire et l’exode des talents vers d’autres marchés. L’inadéquation entre la formation et les besoins du marché continue de limiter l’accès des jeunes diplômés à des opportunités d’emplois qualifiés. Cette situation met en évidence l’échec du PSE à structurer un modèle de croissance inclusif, où les gains économiques profiteraient à l’ensemble de la population plutôt qu’à certains secteurs privilégiés.
Les infrastructures sanitaires et sociales montrent des avancées très limitées. La mortalité maternelle, bien qu’en baisse, demeure à 261 décès pour 100 000 naissances, un niveau encore élevé par rapport aux standards des pays en transition. L’espérance de vie à la naissance est de 66,8 ans, un progrès, mais à un rythme plus lent que dans des pays comparables. La couverture sanitaire universelle peine à être mise en œuvre, en raison de contraintes budgétaires et d’une offre médicale encore insuffisante. Ces faiblesses structurelles traduisent un retard dans la modernisation des services publics essentiels, condition pourtant nécessaire pour asseoir une base solide de développement humain.
Les défis environnementaux accentuent les fragilités du modèle de développement. Plus de 90 % de la population vit en zones arides ou semi-arides, ce qui expose le pays aux effets du changement climatique et aux cycles de sécheresse qui affectent l’agriculture. L’érosion côtière met en péril les infrastructures et les moyens de subsistance des populations littorales, tandis que la désertification limite la productivité agricole et la sécurité alimentaire. La dépendance aux importations de denrées alimentaires et les pertes post-récoltes, estimées à 25 % de la production céréalière, aggravent la vulnérabilité économique. Les investissements dans l’adaptation climatique restent insuffisants, ce qui pourrait compromettre la soutenabilité des gains économiques réalisés jusqu’ici.
Face à ces constats, la Vision 2050 et la Stratégie Nationale de Développement 2025-2029 ont été mises en place par le nouveau régime pour rectifier les limites du PSE et repositionner le pays sur une trajectoire plus durable et inclusive. L’objectif est de passer d’une croissance tirée par l’endettement à un modèle basé sur une productivité accrue, une diversification industrielle et un développement économique plus endogène. La réforme fiscale promue vise à augmenter la mobilisation des ressources internes, réduire la dépendance aux financements extérieurs et améliorer la gestion budgétaire. Une attention particulière est accordée à la réforme du système éducatif et de la formation professionnelle, pour aligner les compétences de la main-d’œuvre avec les exigences d’un marché du travail plus compétitif.
L’initiation de la sortie des PMA ne valide en rien un quelconque succès du PSE. Elle met au contraire en évidence les limites de cette stratégie, qui n’a pas permis de garantir une transformation économique et sociale suffisamment robuste. Sans une refonte des politiques publiques, cette graduation pourrait se transformer en un piège, et exposerait le pays à une stagnation post-PMA et à une dépendance continue aux financements extérieurs. Le Sénégal doit désormais corriger ces lacunes pour assurer une véritable transition vers le développement inclusif, fondée sur une économie plus compétitive, plus résiliente et mieux intégrée aux marchés mondiaux. La réussite de cette phase dépendra de la capacité des nouveaux décideurs à piloter les réformes de la Vision 2050 avec rigueur, pragmatisme et une vision à long terme.
Dr. Abdourahmane Ba
Ingénieur statisticien, Docteur en management
Expert international en évaluation des politiques publiques
Président du Mouvement ESSOR
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