
Le Sénégal se trouve à un tournant critique de son histoire économique et institutionnelle. Depuis juin 2024, le programme triennal de 1,8 milliard de dollars signé avec le Fonds monétaire international (FMI) demeure suspendu. Ce gel fait suite aux révélations de l’Inspection générale des finances (IGF), validées par la Cour des comptes, sur des manipulations comptables opérées entre 2019 et 2024 par les autorités sortantes. Les nouvelles autorités, élues démocratiquement en mars 2024, ont elles-mêmes commandité l’audit. Pourtant, le FMI maintient sa posture et subordonne la reprise du programme à des clarifications jugées indispensables. Cette décision, prise dans un contexte de rupture assumée avec les pratiques antérieures, soulève une double interrogation : sur le sens du mandat du FMI et sur la cohérence de son action en période de réforme vertueuse.
Les faits à l’origine de la suspension relèvent de l’ancienne administration. L’actuel gouvernement a reconnu la gravité des irrégularités, engagé la correction des déséquilibres et affirmé sa volonté de transparence budgétaire. En d’autres termes, il respecte pleinement les principes que le FMI prétend défendre. En retour, l’institution ne propose ni accompagnement transitoire, ni programme intérimaire. Elle oppose un silence budgétaire à une volonté politique affirmée. Ce choix crée un précédent dangereux, où la rigueur comptable l’emporte sur le discernement institutionnel.
Des cas similaires existent. En 2016, le Mozambique a subi six années de gel après la découverte d’une dette cachée. En 2013, le Malawi a vu ses financements suspendus malgré une gouvernance renouvelée. Dans les deux cas, l’absence de soutien international a aggravé les déséquilibres et freiné les dynamiques internes de redressement. Le cas sénégalais se distingue toutefois par un élément essentiel : le choix de la vérité a précédé toute injonction. L’initiative vient du sommet de l’État. L’audit a été assumé, les conclusions rendues publiques, les engagements pris. Ignorer ce contexte reviendrait à disqualifier l’exemplarité comme critère d’appréciation.
Les données macroéconomiques confirment une vulnérabilité croissante. Le rapport Global Economic Prospects – June 2025 de la Banque mondiale a révisé à la baisse la croissance sénégalaise à 5,3 %, contre une projection initiale de 8,8 %. Le déficit budgétaire dépasse les 10 % du PIB, et la dette atteint 106 %. Les projets énergétiques accusent du retard, et les financements extérieurs s’amenuisent. Cette dégradation, aggravée par le gel du programme FMI, compromet la relance de l’investissement, la soutenabilité de la dette et la préservation des dépenses sociales. Le Sénégal paie le prix d’un vide d’accompagnement, non d’une persistance dans l’opacité.
Depuis 2018, le FMI affirme intégrer les principes de bonne gouvernance dans son évaluation des politiques économiques. Son propre cadre stratégique souligne l’importance de soutenir les pays engagés dans des réformes structurelles. À ce titre, le Sénégal constitue un cas d’école : initiative nationale, transparence institutionnelle, volonté de rupture. En maintenant la suspension, le FMI envoie un signal dissuasif aux États désireux de rompre avec les pratiques comptables douteuses. Il encourage paradoxalement la dissimulation au lieu de la vérité.
Or, des alternatives existent. En 2019, le Congo-Brazzaville a bénéficié d’un programme sous engagement progressif, bien avant la régularisation complète de ses comptes. Dans les années 2000, le Kenya a reçu un appui conditionné, adossé à une feuille de route de gouvernance. Le FMI a su, dans ces cas, conjuguer discipline et souplesse, conditionnalité et accompagnement. Rien ne justifie une approche plus rigide envers un pays qui agit en transparence et prend ses responsabilités.
Un maintien du gel aurait de lourdes conséquences. L’État devrait recourir à des financements à taux élevés, contracter des emprunts sur les marchés commerciaux ou réduire ses dépenses prioritaires. Les arriérés de paiement s’accumuleraient, les fournisseurs seraient pénalisés, et les programmes sociaux mis à mal. La réforme fiscale, déjà délicate, risquerait d’être perçue comme punitive dans un contexte de rareté budgétaire. En somme, les marges de manœuvre pour une transformation structurelle s’effondreraient.
À l’échelle sous-régionale, le message envoyé par le FMI risque d’affaiblir les dynamiques de réforme. L’Afrique de l’Ouest connaît une reconfiguration politique marquée par des transitions, des ruptures démocratiques et une remise en cause des schémas clientélistes. Le FMI a une responsabilité stratégique : encourager les gouvernements qui prennent des risques politiques pour instaurer l’intégrité, non les décourager. Sa crédibilité dépend de sa capacité à faire preuve de discernement dans des contextes complexes.
Une solution réaliste et conforme au mandat du FMI consisterait à activer une reprise graduée du programme sénégalais, encadrée par une clause de transparence renforcée. Ce mécanisme permettrait de sécuriser les flux budgétaires, d’envoyer un signal rassurant aux marchés et de préserver l’élan réformateur. Il ne s’agirait ni d’un cadeau, ni d’une indulgence, mais d’un choix rationnel, fondé sur une analyse contextuelle rigoureuse et une volonté politique manifeste.
La sortie de crise exige de dépasser les postures extrêmes. D’un côté, la rigidité technocratique du FMI ne suffit pas à guider l’action dans un contexte de transition démocratique. De l’autre, le discours souverainiste du Premier ministre sénégalais, selon lequel le pays pourrait se développer en dehors du cadre du FMI, traduit une volonté d’affirmation nationale, mais ne constitue pas une stratégie de financement soutenable à moyen terme. Entre ces deux logiques, une voie de convergence est impérative.
Le Sénégal a besoin d’un cadre financier stable pour soutenir l’investissement public, élargir les politiques d’emploi en faveur des jeunes et renforcer les filets sociaux. Le FMI, quant à lui, gagnerait en crédibilité en adaptant ses instruments aux aspirations des pays réformateurs. Ni la fermeture technocratique, ni l’isolement stratégique ne répondent aux enjeux de croissance inclusive, d’industrialisation endogène et de justice intergénérationnelle. Seul un dialogue sincère, structuré autour d’engagements mutuels, constitue une issue responsable.
Dans l’état actuel, le gel du programme FMI constitue moins une exigence technique qu’un blocage stratégique. Il expose l’institution au risque de perdre l’adhésion des pays qui croient encore à la vertu institutionnelle. Il fragilise un gouvernement réformateur, au moment même où celui-ci cherche à reconstruire la confiance. Il fait peser le coût des fautes passées sur ceux qui veulent les corriger.
Soutenir le Sénégal maintenant, dans le cadre d’une conditionnalité crédible et dans le respect des règles, serait un acte de responsabilité partagée. Ce choix permettrait de préserver l’ordre macroéconomique, de soutenir la gouvernance budgétaire et de consolider une transition politique porteuse d’exemplarité. Il revient au FMI de démontrer qu’il sait reconnaître les bons élèves, même lorsqu’ils héritent d’une salle de classe mal tenue.
Dr Abdourahmane Ba
Ingénieur statisticien – Expert en développement international, suivi et évaluation des politiques publiques et management
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