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TRIBUNE DU WEEK-END Par Abdoul Aziz DIOP : Les dissolvants anti-institutionnels du nouveau régime

Au nombre de sept, les institutions de la République du Sénégal sont :

  1. Le Président de la République
  2. Le Gouvernement
  3. L’Assemblée nationale
  4. Conseil constitutionnel, Cour Suprême, Cour des Comptes, Cours et Tribunaux
  5. Le Conseil Économique, Social et Environnemental (CESE)
  6. Haut Conseil du Dialogue Social
  7. Haut Conseil des Collectivités Territoriales

Tout se passe, dans cette configuration, comme si le législateur sénégalais, parmi les meilleurs au monde, forçait – c’est d’ailleurs le cas – l’équilibre dans sa conception et sa décision informées en trouvant, à chacune des trois premières institutions, l’organe consultatif qui lui correspond vraiment pour consacrer l’équilibre intra-institutionnel (interne aux institutions) et inter-institutionnel (entre les institutions). La cinquième institution consultative pour la première, la sixième pour la deuxième et la septième pour la troisième. Sans préjudice évidemment pour le pouvoir judiciaire dont l’intervention permet de rétablir un équilibre rompu.
Pour autant, l’équilibre n’en est pas un tant qu’il n’est pas stable. Reste donc à savoir ce qui, dans la distribution des rôles à trois conseils consultatifs, fait que le législateur sénégalais, de renommée mondiale, ne s’est pas trompé dans la recherche de la stabilité dont les institutions de la République, dans les dénominations et les attributions qui leur correspondent, sont le ferment durable pour le développement économique et social du Sénégal.

La stabilité par les textes

Que vous soyez hommes ou femmes politiques, que vous soyez de l’opposition ou de la majorité, que vous soyez polis ou impolis, que vous vous preniez pour ce que vous êtes ou pour ce que vous n’êtes pas, que vous ayez pour argument la violence ou la négociation, que vous soyez idéologues ou pragmatiques, etc., vous ne comprendrez rien à la stabilité par les textes grâce auxquels les institutions de la République assurent la stabilité de leur propre équilibre tant vous n’y êtes pas formés par un spécialiste de niveau doctoral qui en a fait un sacerdoce à force de se mêler de ce qui le regarde ou ne le regarde pas.

La manière dont les textes que les institutions de la République se partagent pour assurer la stabilité de leur équilibre est empruntée à l’analyse de contenu du discours politique qui n’est ni plus ni moins qu’un texte politique. Pour l’exemple, prenons les discours officiels du Président de la République portant sur une thématique dont les variables et les invariants sont pour l’essentiel connus. Pour la crédibilité du Président dans l’opinion plutôt critique, les préposés à la conception et à la rédaction des discours présidentiels concernés doivent se convaincre de leur stabilité intratextuelle. Cela veut dire que le chef de l’État ne change pas d’avis sur la même thématique à chaque discours indépendamment de la fréquence de la prise de parole présidentielle sur la thématique. L’instabilité intratextuelle signifie un changement de vocabulaire sans changement de thématique à telle enseigne qu’à la longue tout le monde se demande à quel saint se vouer dans divers domaines (éducation, santé, agriculture, industrie, etc.). Une telle instabilité n’est permise que lorsque les rédacteurs tiennent compte des humeurs d’une ou de plusieurs institutions partenaires.
Quid de la stabilité intertextuelle ? Elle veut simplement dire qu’en dépit de la diversité des thématiques centrales abordées par le même locuteur lors de ses interventions, tout ce qui, à titre d’exemple, se rapporte à l’éducation reste inchangée jusqu’à ce qu’un organe délibératif ou consultatif en décide autrement et en informe le locuteur par l’intermédiaire de ses collaborateurs. Autrement, l’instabilité intertextuelle constatée déteint sur l’image du locuteur déconnecté de la vie des institutions et du pays.

Avis du CESE

Invité, dès mai 2017, à «mener une réflexion anticipative sur les modalités d’une gestion durable de nos ressources naturelles, en particulier le gaz et le pétrole», le Conseil économique, social et environnemental (CESE) adressa au chef de l’État l’Avis n° 2017-06 qu’il adopta lors de la séance du 20 novembre 2017.
Les «échanges larges et ouverts avec les populations et les acteurs professionnels sur toutes les problématiques liées à la découverte du pétrole et du gaz dans notre pays», la rigueur dans le travail de documentation de la Commission Ad Hoc du CESE chargée de la préparation du projet d’avis et l’Avis lui-même font écho à la stratégie du Sénégal basée sur une approche prudente. En même temps, ledit avis eut surtout l’avantage de montrer à celles et ceux qui prendront le temps de s’en imprégner qu’une approche simpliste ou rentière d’un dossier complexe comme celui des gisements de pétrole et de gaz préfigure «la malédiction du pétrole». Au lieu de cela, la Présidente du Conseil économique, social et environnemental proposa «un dispositif rigoureux de transparence et de bonne gouvernance» qui, au plan international, s’inspire des orientations de «la gouvernance du secteur des hydrocarbures» et de «l’utilisation des revenus tirés du pétrole et du gaz» par des pays producteurs reconnus pour leur réussite dans ce domaine. Au plan national, le dispositif tient compte de l’environnement (perfectible) des hydrocarbures en jetant un coup de projecteur sur la législation en vigueur, l’organisation du secteur, les contrats signés par l’Etat du Sénégal, les risques environnementaux et la formation aux métiers du pétrole et du gaz. En s’appuyant sur les simulations du Ministère de l’Economie, des Finances et du Plan, le dispositif du Conseil insiste enfin sur les opportunités de financement des politiques publiques en cas d’utilisation efficiente des Ressources financières générées par le pétrole et le gaz (RPG). Pour la période 2022-2035, lesdites simulations donnent des indications importantes sur la croissance économique (voir tableau ci-dessous) qui dépasse le taux de 7,5 % prévu par le PSE.

Sur la même période, la pression fiscale moyenne passerait de 23,4 % à 28,6 % et 211 000 emplois seraient créés chaque année.
Le tour de la question a permis au Conseil de faire des recommandations idoines sur :

  • l’élaboration d’une loi d’orientation du secteur des hydrocarbures ;
  • l’utilisation et la répartition des RPG ;
  • l’appropriation populaire de la gestion par le truchement d’un système d’information accessible à tous ;
  • la bonne gouvernance du secteur ;
  • la garantie de retombées significatives pour les populations ;
  • la formation aux métiers du pétrole et du gaz ;
  • la sauvegarde de l’environnement au niveau et autour des sites d’exploitation ;
  • la sureté et la sécurité à tous les niveaux (sites d’exploitation, transport, stockage, etc.)

Les recommandations importantes, consignées dans l’Avis n° 2017-06 du CESE, constituèrent, avant l’heure, un encouragement de sa présidente, Madame Aminata Tall, au dialogue auquel participèrent, le 12 juin 2018, les professionnels du secteur des hydrocarbures, les élus, les partenaires sociaux, les organisations de la société civile, des responsables politiques, un grand nombre de personnalités indépendantes et de citoyens mus par l’intérêt général.

C’était le prix à payer pour une approche on ne peut plus prudente du maniement des deux accélérateurs nouveaux (le pétrole et le gaz). L’accélération ne saurait donc être une fuite en avant de rentiers d’un autre âge. C’est une rationalité socio-économique qui fait écho à notre loi fondamentale. C’est que nous avons tous l’obligation – le Président de la République le premier – de nous conformer à la Constitution qui, en son article 25-1, dispose que «(…)l’exploitation et la gestion des ressources naturelles doivent se faire dans la transparence et de façon à générer une croissance économique, à promouvoir le bien-être de la population en général et à être écologiquement durables».

Il ressort de tout ce qui précède que le législateur sénégalais a fait et très bien fait le boulot institutionnel sur lequel il avait été attendu et les équilibres auxquels il est parvenu dans sa mission d’intérêt général font que la commission spéciale, installée le 19 août 2024 par Ousmane Sonko et chargée, entre autres, de l’examen et de la renégociation des contrats pétroliers et gaziers est en retard de sept ans déjà sur l’Avis n°2017-06 du CESE. Ladite commission, tel un dissolvant puissant, préfigura, elle, la dissolution de l’organe consultatif annoncée par le chef de l’État. Qui disait encore que le PR travaille sous la dictée du PM ?

A.A.DIOP


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